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IV

Des mœurs de l’exil, la plus amère peut-être est ce mécontentement intérieur, cette plainte qui s’élève au fond du cœur contre les amis qui n’ont pas su nous sauver, — amis imprévoyans ou faibles qui ont laissé venir le péril ou ne l’ont pas conjuré. — On se sent presque moins sévère contre les ennemis qui ont précipité votre ruine : ceux-là du moins ne vous ont pas trompé. Cicéron n’échappait pas à ce besoin de récrimination ; il s’accusait, il accusait le fidèle Atticus. « Vous avez tout su, lui écrit-il, et pas un mot n’est sorti de votre bouche. Ne me bercez plus de vos belles paroles ; votre amitié eût dû être non plus sincère, mais plus active. »

Il ne s’agissait pas cependant de revenir sur le passé. Si l’amitié n’avait pas été active, la haine des ennemis l’était toujours et poursuivait sa victime. À peine en sûreté, hors de l’Italie, Cicéron apprit que dans le pillage de sa maison ses papiers avaient été enlevés. Quelques revues rétrospectives du temps en publiaient de nombreuses copies. « Je suis consterné de ce discours qui se répand, écrit-il, Oui, parez le coup, s’il est possible Je l’ai fait dans un mouvement de colère. J’avais été provoqué ; mais je l’avais supprimé avec tant de soin, que je ne croyais pas qu’il en restât une seule copie. Au reste, comme l’écrit est d’une négligence de style qui ne m’est pas ordinaire, je crois qu’il sera facile de le désavouer. Désavouez-le donc, si d’ailleurs ma position n’est pas sans remède. »

Cicéron, on le voit, avait cette maladie qui tourmenté l’exilé et lui ôte même la douceur du repos, — l’attente : il écoutait les moindres bruits de Rome, et à chaque mouvement de la place publique, à chaque délibération du sénat, il s’imaginait qu’on allait décréter son rappel. Des ennuis de tous genres, des embarras de fortune, venaient ajouter à son malheur. Ses biens avaient été confisqués, ses maisons pillées ou rasées ; Terentia sa femme, et sa fille, sa chère Tullie, ne vivaient que des secours précaires obtenus de ses amis. Des grandeurs de la vie politique il tombait dans les soins étroits et petits des conditions malaisés ; ses lettres trahissent, la tristesse profonde, de son ame ; la douleur du père de famille s’y mêle partout aux regrets de sa disgrace. – « J’ai reçu vos trois lettres, écrit-il à Terentia et à Tullie, et les ai presque effacées par mes larmes ; le chagrin me tue, et je souffre moins encore de mes maux que des vôtres, et de ceux de nos enfans. Vous êtes bien malheureuses, mais je suis plus malheureux que vous ; car, si la peine est pour vous tous, la faute est à moi seul. Le difficile était de me chasser, ce n’est rien que de m’empêcher de revenir. Toutefois, tant que vous conserverez de l’espoir, je me tiendrai prêt. »