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elle ne frapperait pas seulement sur la philosophie, elle tomberait de tout son poids sur la civilisation moderne, qui, depuis les premiers pas qu’elle a faits librement, dans tout l’ensemble des mœurs qui la constituent et des lois qu’elle a établies, prend la raison comme point de départ. Qu’elle s’allie à la foi religieuse ou qu’elle rejette toute foi, cette opinion n’a et ne peut avoir qu’un seul nom, le scepticisme. C’est à le combattre, c’est à le chasser, pour ainsi dire, de toutes ses forteresses, et à lui arracher tous ses masques, que l’auteur des célèbres préfaces contre l’école théocratique et des cours contre le sensualisme moderne s’attache avec énergie. C’est là qu’éclate véritablement la conformité de son enseignement avec l’esprit de la révolution cartésienne si profondément conforme elle-même à la révolution de 1789.

Si jamais l’influence de la métaphysique la plus indifférente, ce semble, aux affaires du monde avait pu être mise sérieusement en question le XVIII siècle et la restauration se seraient chargés de faire tomber les derniers voiles. Quelles conséquences sur la destinée individuelle et sur la société sortent, pour ainsi dire, à flots pressés du faux système de la sensation transformée ! La raison n’est rien que de relatif et de variable ; la sensation est le fond de l’homme ; ayez donc soin avant tout de vous procurer des sensations agréables ; de là l’hygiène, la propreté, recommandées comme des vertus dans des catéchismes où il n’y aura d’oublié que le dévouement. Point de principes absolus, point de justice naturelle, point de vérité antérieure aux conventions humaines, le raisonnement né de la sensation façonnant seul la société, soumise à ses combinaisons arbitraires : de là, en politique, l’idée d’un contrat purement artificiel, résiliable dès-lors ; l’insurrection comme conséquence naturelle ; l’humanité primitive changée en un congrès de philosophes délibérant à loisir sur le langage, la religion, le gouvernement ; l’ordre politique et religieux dénoncé aux peuples comme une conspiration des rois et des prêtres, la ruse, la violence montrées seules, l’équité nulle part, en tout un monde factice, que l’homme peut changer, puisqu’il l’a créé. Voilà comment, sans le vouloir et sans s’en douter, l’abbé de Condillac produit toute l’école révolutionnaire !

Voyez de même la restauration : quel lien étroit y unit la métaphysique et la politique ! La théodicée de M. de Bonald montre dans le dieu qu’elle conçoit bien plutôt la volonté, le bon plaisir, que l’intelligence qui dirige cette volonté infinie et les lois suivant lesquelles elle se détermine. Il semble qu’un dieu qui n’agirait pas uniquement parce que cela lui plaît, en dehors de toutes considérations tirées de sa sagesse, c’est-à-dire des principes qui président à l’exercice de sa liberté, serait un dieu moins puissant et moins respecté, un dieu pour ainsi dire constitutionnel, limité par une charte. Quelle merveilleuse prémisse