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ne faisait pas pressentir le génie de l’auteur futur de l’Image de la vie humaine et du Testament d’Eudamidas[1].

Poussin avait connu Philippe de Champagne au collége de Laon. Ils demeurèrent quelque temps ensemble. Duchesne les avait employés l’un et l’autre à la décoration du Luxembourg, et, quoique Poussin se fût vite dégoûté des misérables travaux qu’un maître ignorant lui imposait, il n’est pas douteux qu’il demeura lié avec Champagne, dont l’esprit sérieux n’était pas sans analogie avec le sien. On aime à se persuader que cette amitié l’aida à traverser sans trop de souffrance ces douze années de travaux obscurs et incessans, de tentatives infructueuses et sans doute aussi de misère, après lesquelles commence, avec le voyage de Poussin à Rome, la période vraiment féconde et glorieuse de la vie du peintre.


I

Poussin arriva à Rome au commencement de l’année 1624. Il y fut reçu par le cavalier Marin, qui, avant son départ pour Naples, où il devait mourir, lui ouvrit les trésors du palais Barberini ; mais il parait que cette protection ne lui fut d’aucune utilité pécuniaire. Il resta pendant long-temps très pauvre, « se passant, » dit Félibien, « de peu de chose pour sa nourriture et pour son entretien. » Sa peinture trouva si peu d’accueil parmi les amateurs de Rome, éblouis par la manière lâchée et le pinceau brillant du Guide, qu’il fut réduit à donner pour 8 livres un tableau représentant un prophète, et pour 60 écus la Peste des Philistins, qui, plus tard, en fut vendue 1,000 au cardinal de Richelieu. Il était logé avec le sculpteur Duquesnoi, aussi pauvre que lui pour le moins. Il l’aidait à modeler des figurines d’après l’antique, et c’est avec lui qu’il mesura quelques-unes des plus célèbres statues de Rome, et en particulier l’Antinoüs. Bellori assure avoir vu le travail original de Poussin, et nous en a conservé un trait. Il n’est pas douteux que ces travaux de sculpture eurent une grande influence sur sa manière, et contribuèrent à donner à ses figures cette sécheresse de contours et ce caractère abstrait des formes que ses détracteurs lui ont tant reprochés. Il faut remarquer encore que Poussin, frappé de l’admirable perfection de l’antique, et ne remarquant pas assez que les qualités de la sculpture ne sont pas celles de la peinture, n’a presque jamais peint d’après le nu. En se promenant dans les vignes voisines de Rome et dans

  1. Il nous reste pourtant un tableau qui pourrait bien être antérieur au premier voyage de Rome. C’est la Sainte Cécile du musée de Montpellier. Cet ouvrage, d’ailleurs très authentique et remarquable, a quelque chose de presque gothique qui sent plus Jean Cousin que Raphaël.