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de voir armé à l’antique et monté par Annibal ? La lettre que nous avons citée doit être de 1628 ou de 1629 au plus tard, car Poussin demeura, depuis cette époque, chez son compatriote Dughet, et il était par conséquent à l’abri des plus dures atteintes de la misère. Il avait épousé, en 1629, une des filles de son hôte, nommée Anna-Maria, qui l’avait soigné avec dévouement pendant une maladie. Il avait employé sa dot à acheter une maison sur le mont Pincio, à côté de celle de Salvator Rosa, vis-à-vis de celle du Lorrain. C’est sans doute à cette époque qu’il faut placer le terme de sa longue et laborieuse jeunesse. Des travaux importans l’occuperont seuls désormais ; mais il se passera bien des années avant qu’il ait forcé l’attention des Romains, blasés par leurs écoles bâtardes, et conquis l’universalité des suffrages qui devaient plus tard accueillir chacun de ses chefs-d’œuvre.

Il ne faudrait pas croire cependant que tous les tableaux qu’il fit de 1630 à 1642, époque de son voyage en France, soient de la même valeur et aient la même perfection. Ses compositions gracieuses de cette première période, malgré des qualités éminentes, sont loin, à bien des égards, de ses autres productions. Poussin n’a jamais connu cette beauté du visage qui coule du pinceau de Raphaël comme d’une source divine. Il est vrai qu’il rachetait ce défaut par tant de force, d’ampleur, de distinction dans les formes générales, de goût dans les attitudes et dans l’arrangement des draperies, qu’on oublie de remarquer cette absence fréquente de la grace dans la beauté ; mais le défaut existe, et le temps, qui a noirci ses tableaux plus que beaucoup d’autres, ne suffit pas à le laver de tout reproche à cet égard.

La Mort de Germanicus est le premier grand tableau qui fut commandé à Poussin[1]. C’est aussi la première de ces compositions pathétiques dans lesquelles il excelle et que nous verrons reparaître sous une forme plus admirable encore dans l’Extrême-Onction et le Testament d’Eudamidas. La Prise de Jerusalem, le Frappement du Rocher, la première suite des Sacremens, peinte pour le chevalier del Pozzo[2], datent du premier séjour à Rome. Il y faut joindre deux œuvres de pleine maturité, la Manne et l’Enlèvement des Sabines. Poussin a surpassé ces deux tableaux, mais il n’a mis au même degré dans aucun autre des qualités de premier ordre et les défauts qu’on a coutume de lui reprocher.

Le tableau de la Manne ne présente pas une action principale qui

  1. Par le cardinal Barberini, dans la famille duquel il est encore.
  2. Cette admirable suite des Sacremens, si connue par la gravure, se trouve chez le duc de Rutland, venant de la collection Bocca Paduli, où elle était encore à la fin du siècle dernier. La seconde suite, plus belle encore à notre avis, peinte plus tard pour M. de Chantelou, est maintenant chez lord Ellesmere (ancienne galerie Stafford), avec le Frappement du Rocher. Ces tableaux viennent de la galerie d’Orléans.