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teur est, à notre avis, loin d’égaler ses meilleurs tableaux de cette époque. Il nous suffira de rappeler les deux admirables suites des Sacremens (l’une un peu antérieure, l’autre un peu postérieure à son séjour à Paris), et en particulier l’Extrême-Onction, dont Poussin lui-même n’aurait jamais égalé la grande ordonnance et le pathétique, s’il n’eût fait plus tard le Testament d’Eudamidas[1] et le Massacre des Innocens.

Le tableau du Baptême témoigne de l’agitation extrême de l’esprit de Poussin à cette époque. Il renferme des, beautés incomparables, et cependant l’effet total est loin de satisfaire complètement ; l’application y est visible, et la volonté plutôt que l’entraînement poétique y conduit ce pinceau à l’ordinaire si docile et si spontané. Malgré l’avis contraire de la plupart des critiques, nous n’hésitons pas à mettre aussi dans la classe des œuvres inégales le grand tableau de la Cène, fait pour la chapelle de Saint-Germain et conservé au Louvre. Les têtes des apôtres manquent de distinction, l’ensemble de la scène a quelque chose de théâtral, enfin la lumière de la lampe donne aux chairs et aux draperies une couleur à la fois rouge et terne de l’effet le plus désagréable. Nous ne comprenons pas que les peintres ne s’affranchissent pas une bonne fois et pour toujours de cette sorte d’exigence traditionnelle qui les oblige à représenter l’institution de l’eucharistie comme une action clandestine faite à la lumière fausse d’une lampe dans un lieu enfumé. Certes, si quelque chose doit se passer à la pleine lumière du soleil, c’est bien ce premier repas de la fraternité chrétienne. Cène n’a d’ailleurs jamais voulu dire que souper, repas du soir, et il serait bien facile de représenter la Cène le soir, mais de jour ; la lumière, au lieu de devenir une difficulté presque insurmontable, serait alors un auxiliaire puissant. Il n’y aurait qu’à imiter l’excellent exemple de Léonard de Vinci. Poussin est tombé plusieurs fois dans cette regrettable erreur et notamment dans son admirable Cène de la suite des Sacremens.

Le plus considérable des ouvrages que Poussin fit à Paris est le Miracle de saint Xavier. Ce tableau, de la plus grande dimension, puisque les figures, au nombre de quatorze, sont plus fortes que nature, dément l’opinion vulgaire touchant l’infériorité constante des grands ouvrages de ce maître. Il représente saint Xavier rappelant une jeune fille à la vie. La jeune fille est couchée presque en travers du tableau. On voit sa tête, ses bras, sa poitrine et une partie, de son corps. Saint Xavier est de l’autre côté du lit, debout, les mains et la tête levés vers le ciel, appelant la puissance de Dieu au secours de la faiblesse hu-

  1. Le Testament d’Eudamidas, passe, nous ne savons pourquoi, pour postérieur aux Sacremens. Il nous paraît au contraire le premier jet plus simple et plus puissant de l’Extrême-Onction. C’est évidemment la même composition réduite à ses premiers élémens. Du reste, les documens manquent absolument sur ce tableau, qui n’existe plus.