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n’effaça pas cette liaison naissante, et Poussin ne cessa pas d’envoyer à Lesueur des conseils et des dessins qui pussent remplacer les exemples qui lui manquaient.

Ce départ de Poussin, chassé de son pays par des intrigues honteuses, est déplorable. Il brisa sans retour la dernière chance qui restait à la peinture française de se relier fortement à la tradition italienne du grand siècle. Il fallait un homme de l’autorité de Poussin pour réunir, pour discipliner et pour gouverner une foule d’artistes sans doctrine et sans traditions, et pour fonder une véritable école nationale. Nous souffrons encore de ce malheur, et nos artistes continuent à gaspiller les plus beaux talens, à tenter toutes les voies et à courir tous les hasards. Le destin des trois plus grands peintres, des trois seuls grands peintres du XVIIe siècle, est d’ailleurs remarquable. Poussin s’exila pour échapper aux tracasseries de la cour ; Lorrain, que le hasard avait conduit à Rome, y resta, et on sait comment Lesueur expia son génie.


III.

Poussin rentra le 6 novembre 1642 dans sa petite maison du mont Pincio, qu’il ne devait plus quitter. Il apprit bientôt la mort de Richelieu ; quelque temps après, celle du roi, suivie de la retraite de M. de Noyers. Ces nouvelles, qui lui arrivèrent coup sur coup, l’affectèrent vivement. Il écrivait le 9 juin 1643 à M. de Chantelou : « Je vous assure, monsieur, que, dans la commodité de ma petite maison et dans l’état de repos qu’il a plu à Dieu de m’octroyer, je n’ai pu éviter un certain regret qui m’a percé le cœur jusqu’au vif, en sorte que je me suis trouvé ne pouvoir reposer ni jour ni nuit ; mais à la fin, quoi qu’il m’arrive, je me résous de prendre le bien et de supporter le mal. Ce nous est une chose si commune que les misères et les disgraces, que je m’émerveille que les hommes sensés s’en fâchent et ne s’en rient plutôt que d’en soupirer. Nous n’avons rien à propre, mais tout à louage. » Pascal n’eût pas dit autrement. La saveur puissante d’un profond sentiment moral se retrouve dans ces graves paroles comme dans celles de presque tous les grands hommes de ce temps. Cette résignation sereine, qui n’a rien de commun avec les faiblesses maladives et les découragemens puérils, provient d’une appréciation hardie et lucide de la réalité. Ces hommes robustes ne pensaient pas qu’il fût utile de vivre dans un tourbillon d’erreurs ni de cacher sous des imaginations mensongères ce que la vie humaine a de douloureux et de difficile. Les lettres de Poussin portent à chaque page l’empreinte de la pensée de la mort toujours présente, mais il s’y mêle un sentiment