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M. de Chantelou lui avait demandé pour servir de pendant à la Vision d’Ezéchiel de Raphaël. Cet excellent ouvrage, quoique l’arrangement des jambes de saint Paul et des anges ne soit pas parfaitement heureux, paraît avoir mis la modestie de Poussin à une bien rude épreuve. « Je crains, écrit-il, que ma main tremblante ne me manque dans un ouvrage qui doit accompagner celui de Raphaël. J’ai de la peine à me résoudre à y travailler, à moins que vous ne me promettiez que mon tableau ne servira que de couverture à celui de Raphaël, ou du moins, qu’ils ne paroîtront jamais l’un auprès de l’autre, croyant que l’affection que vous avez pour moi est assez grande pour ne permettre pas que je reçoive un affront. » Il ajoutait en envoyant le tableau (2 décembre 1643) : « Je vous supplie, tant pour éviter la calomnie que la honte que j’aurois que l’on vît mon tableau en parangon de celui de Raphaël, de le tenir séparé et éloigné de ce qui pourvoit le ruiner et lui faire perdre le peu qu’il a de beauté. »

Peu de temps après la mort de Richelieu, Mazarin ayant rappelé M. de Noyers au poste qu’il occupait précédemment, celui-ci écrivit à Poussin pour l’inviter à revenir terminer la galerie du Louvre. Cette proposition plut peu à Poussin, qui répondit « qu’il ne désiroit y retourner (à Paris) qu’aux conditions de son premier voyage, et non pour achever seulement la galerie, dont il pouvoit bien envoyer de Rome les dessins et les modèles ; qu’il n’iroit jamais à Paris pour y recevoir l’emploi d’un simple particulier, quand on lui couvriroit d’or tous ses ouvrages[1]. » Au fond, Poussin ne voulait pas quitter Rome. Peut-être s’en aperçut-on. On n’insista pas, et il resta.

Quoique les biographes n’indiquent en aucune manière à quelle époque furent achevés deux tableaux admirables, — le Testament d’Eudamidas et le Massacre des Innocens, — nous ne croyons pas beaucoup risquer en les plaçant après le retour de Poussin à Rome, vers 1645, lorsqu’il eut achevé la seconde suite des Sacremens. Ces deux ouvrages, qui ont pour sujets de ces actions pathétiques qu’affectionne Poussin, dans lesquelles on peut montrer d’une manière poignante le jeu des passions et des sentimens, sont traités avec une largeur, une franchise, qui reportent aux meilleurs temps de la peinture. Eudamidas, soldat de Corinthe, laisse par son testament sa femme à nourrir à l’un de ses amis, et à l’autre le soin de marier sa fille. Le moribond est couché en travers du tableau, le haut du corps découvert, dictant au notaire, qui est assis près du lit, du côté du spectateur, ses dernières intentions. Un médecin d’une tournure superbe, la main gauche sur son propre cœur, la droite sur celui du mourant, épie les derniers mouvemens de la vie. La femme d’Eudamidas est assise sur le pied du

  1. Félibien, IV, 44.