Il faut ajouter cependant que, si cet amour passionné de la nature qui caractérise les siècles modernes ne se retrouve pas chez les Grecs anciens, il n’est pas non plus absolument étranger à ces admirables organisations. Platon en fournirait de nombreux exemples, et il est impossible de lire le chœur d’Œdipe à Colone : « Étranger, te voici dans le séjour le plus délicieux de l’Attique, etc., » ou le commencement de Phèdre, sans se sentir transporté dans la sphère désintéressée dont nous parlons.
Il est une autre manière d’admirer ou d’aimer la nature, beaucoup plus commune, beaucoup plus accessible au grand nombre, dont nous ne nions nullement la légitimité, mais que nous séparerons nettement de la première. À côté, au-dessous de ce sentiment profond, passionné, peu soucieux de conduire au plaisir, religieux puisqu’il n’a rien d’égoïste, s’en trouve un autre préoccupé avant tout de volupté, de plaisir, d’agrément. La nature sert à l’amour ; là est son prix : Galatée s’enfuit sous les saules, et leur léger ombrage n’est qu’un voile irritant pour sa beauté. Cette muse facile qui s’endort au murmure des fontaines et couronne de roses brillantes sa coupe pleine de toutes les ivresses, cette muse inspire souvent Théocrite, Horace, Virgile. Elle a exercé un empire aussi puissant sur les peintres que sur les poètes, et l’on pourrait suivre dans toutes les écoles cette trace voluptueuse qui a peut-être trouvé dans notre Watteau son représentant le plus distingué.
L’amour de la nature, tel que Poussin l’a connu et traduit, se distingue du panthéisme de l’Inde, aussi bien que du poétique matérialisme de la Grèce. Son œuvre est sévère d’un bout à l’autre, et, quoiqu’il ait souvent représenté dans ses tableaux les scènes les plus libres de la mythologie et des poètes anciens, la hauteur du style l’a toujours sauvé de la licence. Les personnages de ses paysages augmentent ordinairement le sentiment mélancolique que nous fait éprouver la nature. Cette nature, qui nous jette dans une douloureuse rêverie, est pleine de beauté, toujours jeune, toujours bienfaisante ; mais elle est silencieuse, et la contemplation de ses merveilles, nous arrachant à notre vie fiévreuse et hâtée, au tourbillon qui nous aveugle et nous entraîne, remplit nos cœurs d’un sentiment mêlé d’angoisse et d’un bonheur délicieux. Il est possible que la vue de l’immortelle jeunesse de la nature, que nous comparons, sans en avoir conscience, à la durée fugitive de notre propre existence, soit l’une des causes de l’émotion qu’elle nous fait éprouver ; il se peut aussi qu’elle possède des forces mal définies qui correspondent à des organes mystérieux de notre être ; mais il est impossible d’expliquer, par une cause uniquement physique, matérielle, brutale, l’impression poignante que font sur notre esprit certains paysages. N’est-ce pas ce sentiment qu’éprouvait Télémaque, et que Fénelon exprime dans de si éloquentes paroles ? « Il se