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singulière, les doctrines les plus hostiles entre elles se rencontrent dans un même principe. Hobbes, ce politique rétrograde, ce panégyriste résolu de la monarchie absolue, n’invoque point, on peut s’en convaincre en lisant M. Cousin, d’autres raisons que le républicain Spinosa pour fonder l’omnipotence de l’état, d’autre légitimité que celle qui permet aux publicistes révolutionnaires de proclamer la suprématie de la volonté pure du peuple, indépendamment des principes. La théorie de Danton, sauf la différence du souverain, est à peu de chose près celle de Borgia.

M. Cousin demande donc à la psychologie spiritualiste une théorie plus vraie du devoir et du droit. La métaphysique ici est plus que jamais d’un intérêt contemporain.

Me respecter moi-même, me développer, voilà ma règle, voilà ma fin. La raison la conçoit comme une obligation, l’activité l’embrasse comme un but. La solution morale du problème de la société est identique sous une face différente ou plutôt agrandie. Partie intégrante et responsable de l’ordre universel, je me dois, je dois à l’ordre et à son auteur de ne détruire ou de ne dégrader ni mon corps, ni mon intelligence, ni mes instincts, ni ma liberté. Je me dois en outre de leur donner tout le degré de perfection possible. En remplissant la première partie de ma destinée, j’évite le mal ; par la seconde, je fais le bien. Or, les autres hommes n’ont pas une autre nature que la mienne. Comme à moi-même donc je leur dois respect, et comme eux j’ai droit à être respecté à mon tour. Cette vue épuise l’idée du droit. Je n’ai droit absolument, de la part de mes semblables, qu’au respect de mon libre développement, dans les limites de celui d’autrui. On n’a droit de même de me demander rien de plus. Voilà le règne pur de la justice. Qu’est-ce donc que l’ordre ? C’est avant tout le respect réciproque. Qu’est-ce que la loi ? C’est cette garantie écrite. Qu’est-ce que l’état ? C’est la justice constituée et armée. On discute beaucoup sur l’ordre et sur la liberté. Loin d’être deux lignes parallèles qui se prolongeraient sans se rencontrer, ils forment à beaucoup d’égards un tout solidaire. Regardez-y avec un peu de réflexion : vous verrez que presque tout désordre est oppression, et que toute oppression est désordre. Qu’on aille au fond de cette théorie, qu’on en presse les conséquences on se convaincra qu’elle répond, sans avoir à leur appliquer des argumens différens, à tous les systèmes erronés ou coupables, qu’ils s’appuient au droit divin ou au droit révolutionnaire, qu’ils prétendent justifier l’édit de Nantes et les dragonnades ou les excès de 93, qu’ils invoquent l’arbitraire des cours ou celui des rues.

M. Cousin n’a point à chercher une autre origine à l’égalité, cette idée qui a prêté à tant de confusions historiques, philosophiques, économiques, à la propriété, ce point de mire de tant d’attaques, que plus