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les deux Dughet[1] et Sébastien Bourdon. Dughet le paysagiste est un très grand peintre, mais il porte un nom redoutable qui lui a été fatal. Nous avons laissé l’Angleterre accaparer ses meilleurs ouvrages, et nous n’en possédons presque plus d’importans. Quand à Sébastien Bourdon, on n’a qu’à parcourir son œuvre gravé pour se convaincre que les leçons de Poussin ne furent pas vaines. Les ouvrages de cet homme étonnant, qui imitait à la fois Poussin et Salvator Rosa, sont extrêmement inégaux, mais on y rencontre des beautés de premier ordre.

Poussin n’a pas composé d’ouvrage sur la théorie de la peinture, comme on l’a cru et dit de son temps et plus tard. Jean Dughet, auquel M. de Chantelou écrivit en 1666 pour savoir la vérité à ce sujet, lui répondit : « Vous m’écrivez que M. Cerisiers[2] vous a dit avoir vu un livre fait par M. Poussin, lequel traite de la lumière et des ombres, des couleurs et des proportions : il n’y a rien de vrai dans tout cela. Cependant il est constant que j’ai entre les mains certains manuscrits qui traitent des lumières et des ombres, mais ils ne sont pas de M. Poussin, ce sont des passages extraits par moi, d’après son ordre, d’un ouvrage original que le cardinal Barberini possède dans sa bibliothèque ; l’auteur de cet ouvrage est le père Matteo, maître de perspective du Dominiquin, et il y a bien des années que M. Poussin m’en fit copier une bonne partie avant que nous allassions à Paris, comme il me fit copier aussi quelques règles de Vitellione ; voilà ce qui a fait croire à beaucoup de personnes que M. Poussin en était l’auteur. »

On se demande ce qui manqua à cet étonnant génie, à ce légitime héritier de Raphaël, pour tenir, sans contestation, le rang que lui assigne un si prodigieux ensemble d’ouvrages admirables. Rien, sans doute, que d’être né un siècle plus tôt. Au XVIIe siècle, la tradition des grands maîtres italiens était déjà perdue. Poussin, au lieu de s’abandonner au courant naturel et tout-puissant de son art, dut s’adresser à la science, discuter, se refroidir. De là ce quelque chose de tendu, de voulu, de cherché, qui le met souvent en hostilité avec le principe fondamental des beaux-arts, et qui rappelle qu’il appartient à une époque plus scientifique que poétique. De là aussi ces oscillations fré-

  1. Gaspard Dughet (dit Gaspard Poussin) peintre de paysage, naquit à Rome en 1613 d’une famille originaire de Paris. Jean Dughet était graveur, et nous lui devons la reproduction de plusieurs ouvrages de Poussin. Le premier mourut à Rome en 1675. C’est lui qui passe pour avoir accompagné Poussin à Paris ; mais, comme il ressort de la lettre de Jean Dughet à M. de Chantelou qu’il y alla, nous pensons que les biographes se sont trompés. Ils peuvent du reste y être allés tous les deux.
  2. Négociant de Lyon, pour lequel Poussin fit les deux beaux paysages où l’on porte le corps de Phocion et où on recueille ses cendres.