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visita la plus grande partie du pays, et revint en France, dans l’automne de 1605, pour chercher les hommes et les objets nécessaires à une complète colonisation. Lorsque de Monts et Poutrincourt revinrent, ils ne trouvèrent que deux hommes sur quarante qu’ils avaient laissés. Ces deux hommes les plus braves incontestablement de la troupe, méritent d’être nommés : ils s’appelaient Bataille et Méquelet. Les autres, voyant se prolonger outre mesure l’absence des secours qui leur avaient été promis, étaient partis, dans la pensée que de Monts avait abandonne son projet de colonisation. Les deux hommes restans étaient à table lorsqu’un sauvage vint les avertir qu’un vaisseau était en vue. Tel est le commencement de la civilisation dans l’Acadie, l’origine de sa colonisation. Jamais colonisation ne fut entreprise avec aussi peu d’hommes et accomplie aussi gaiement. Lorsque les premières difficultés furent vaincues, l’existence de nos colonisateurs devint aussitôt joyeuse ; la sociabilité française était impatiente de se montrer, sur ce sol sauvage. On en jugera par les deux traits suivans : Poutrincourt revenait d’un voyage d’exploration ; et avait laissé à Port-Royal, siége principal de la colonie (aujourd’hui Annapolis), un colon, nommé Marc Lescarbot, avocat de profession, et, qui nous a conservé dans son journal le récit de ses aventures. Pour fêter dignement le retour de Poutrincourt, Lescarbot établit sur le bord de la mer un théâtre du haut duquel il récita à son ami une poétique épître, le félicitant de son heureux retour. Le second trait est plus curieux encore : Poutrincourt établit l’ordre du bon temps, dont étaient membres les principaux officiers de l’escadre. Chacun à son tour était maître d’hôtel. Champlain fut le premier qui entra en office. Chaque soir, le maître d’hôtel du jour remettait entre les mains de son successeur les insignes de son ordre. Chacun d’eux ainsi devint cuisinier distingué, tant leur émulation était excitée. Ils inventèrent des mets nouveaux, et, long-temps après, Lescarbot trouvait la cuisine de Paris bien inférieure à celle qu’il faisait lui-même en Acadie. Ce devait être un assez bizarre spectacle que de les voir, ces chevaliers de l’ordre du bon temps, recevant à leur table les chefs sauvages en costume de maître d’hôtel ; bêchant, labourant, semant pour la première fois du blé dans ces contrées, construisant des forts et versifiant des épîtres poétiques lues au bord de la mer sur un théâtre improvisé.

Long-temps l’Acadie comme le Canada a été la terre désirée la contrée chérie, l’Eldorado de tous les aventuriers de France et même de l’Europe. Les esprits audacieux, les imaginations aventureuses, les jeunes gens sans fortune, considéraient le Canada et l’Acadie comme le lieu où ils pourraient rencontrer la gloire et la fortune que leur refusait leur patrie. L’amour des expéditions aventureuses, et cette