Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/745

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à parle la même langue, c’est-à-dire un anglais déjà corrompu ; ils sont bruyans, parleurs, rusés et assez peu scrupuleux. Il y a chez eux des demi-squatters et des demi-marins, un mélange des deux classes d’hommes sur lesquelles reposent les États-Unis. Quelquefois le même individu est squatter et marin à la fois : il construit des vaisseaux et laboure les champs. Pas de riche propriétaire foncier. Là, comme en Amérique, la propriété est créée par l’homme et pour l’homme, c’est-à-dire qu’elle et de très minimes relations entre les habitans d’un même pays. Les possesseurs du sol n’y vivent point réunis en groupes : pas d’association, de communes, de villages, mais des maisons isolées, sans aucun lien entre elles. Quant au reste de la population, elle se compose de pêcheurs de morue ou encore d’officiers et de soldats des troupes anglaises, de midshipmen et de capitaines de la flotte de sa majesté : Ajoutez à cela une tendance démocratique très prononcée, des meetings en plein vent, des tribuns populaires réclamant l’égalité, et vous ne serez plus étonnés si, de jour en jour, les colonies anglaises du nord de l’Amérique font mine de vouloir se rapprocher des États-Unis.

Les mœurs du peuple deviennent donc démocratiques, et ainsi de jour en jour plus américaines ; mais quant aux mœurs des hautes classes, de ces classes qu’on appelait autrefois la société et que nous appellerons aujourd’hui la société officielle, pour celles-là, elles sont tout-à-fait anglaises ; elles n’ont rien de démocratique ni d’américain ; il y a dans ces mœurs les mêmes excentricités, les mêmes raides attitudes, le même ennui, les mêmes conversations tour à tour policées ou concises, délayées ou monosyllabiques, qu’en Angleterre ; seulement, ce sont les mœurs anglaises provincialisées. Les mœurs de cette société officielle sont pleines de maladresses, de gaucherie ; il.y a en elles de la recherche et de l’effort. Cette vie de la société acadienne, telle que la décrit Halliburton., c’est ce que nous appellerions en France la vie de province par opposition à la vie de Paris. Seulement supposez notre vie de province à deux cent lieues de la France, en Algérie, ou, mieux encore, à Pondichéry.

On aura une idée des mœurs acadiennes par la haute société d’Halifax ou plutôt d’Illinoo, ville fantastique inventée par Halliburton, et dont il a fait comme le centre de tous les faits qu’il a recueillis et de toutes les histoires qu’il raconte. Tâchez un peu de vous rappeler quel personnage important un préfet est dans nos provinces ; rappelez-vous avec quel soin on s’enquiert des plus menus détails de son existence ; comme le chef-lieu du département est agité à la nouvelle de son arrivée, et les propos qui circulent à son occasion, les singulières et vulgaires inquiétudes qui agitent tous les esprits ! Est-il.marié est-il jeune ?