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BELLAH.

yeux ne se seraient permis un de ces traits imprévus, une de ces attaques furtives, un de ces éblouissemens magiques qui doublent l’éclat des savans regards féminins. Bellah, si nous osons appliquer une figure vulgaire à cette douce image, n’avait qu’un tour dans sa gibecière, qu’un carreau dans son arsenal, mais il était décisif : elle dressait tout doucement vers le ciel sa prunelle étincelante et noyée. C’est à propos de quoi sa tante disait qu’elle faisait des coquetteries au bon Dieu. Or, il est possible, disons-nous, que ce jeu mystique de prunelles, quand il intervenait dans les prières de la jeune royaliste, remplaçât cloqueinment le nom que ses lèvres dédaignaient de prononcer.

Hervé de Pelven arrivait, le fusil sur l’épaule, à l’armée de la Moselle, comme le général Hoche en prenait le commandement en chef. La conduite de Hervé dans une affaire d’avant-postes lui valut presque immédiatement le grade de lieutenant. Plus tard, à l’attaque des lignes de Wissembourg, comme son bataillon se repliait en désordre devant l’artillerie formidable d’une redoute autrichienne, il s’élança seul sur les fascines, une flamme tricolore à la main, et s’y tint debout pendant une minute sous la fusillade, par un miracle d’audace et de bonheur. Les républicains, ramenés et électrisés par son exemple, le retrouvèrent mourant au milieu des cadavres ennemis. Le général en chefj témoin de ce fait d’armes, voulut que le brave jeune homme conservât le commandement du bataillon qu’il venait de sauver et d’illustrer ; mais Hervé n’était pas encore sorti du lit de douleur où ses blessures l’avaient jeté, quand le général Hoche, livré une première fois par sa fortune, toujours souriante et toujours prête à le trahir, passa de son camp victorieux dans les prisons du comité de salut public. Hervé perdait plus qu’un protecteur : les égards touchans et les attentions affectueuses que Hoche lui avait témoignés, tenant plus de compte du rapport de leur âge que de la différence du rang, lui donnaient le droit de prévoir et déjà de regretter un ami dans le chef qui lui était enlevé.

Ce fut à cette époque que Pelven apprit, par une lettre datée de Londres, que sa sœur Andrée, Mlle Bellah de Kergant et la chanoinesse avaient émigré en Angleterre sur l’ordre et par les soins du marquis ; quant au marquis lui-même, la lettre d’Andrée n’en parlait point. Hervé eut la pénible explication de cette réserve en voyant peu de temps après le nom de M. de Kergant figurer parmi les noms des chefs royalistes qui firent dans l’ouest une si redoutable diversion à nos guerres de frontière. À partir de ce jour, le jeune officier reçut à des intervalles rapprochés des lettres de sa sœur : le mystère de cette correspondance, qui ne pouvait s’entretenir que par des voies détournées, altéra la confiance que le patricien converti s’était d’abord attirée dans l’armée républicaine. Malgré les hautes qualités militaires qu’il conti-