Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 5.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’autres y soient jamais reçus que ceux qui auront plus de biens et de richesses, et bien souvent moins de mérite, suffisance et capacité : considération à vrai dire très plausible, mais qui semble être excogitée pour donner une atteinte particulière à vos officiers, et non à dessein de procurer le bien de votre royaume. Car à quel sujet demander l’abolition de la paulette, si votre majesté ne supprime de tout point la vénalité des offices ?… Ce n’est pas le droit annuel qui a donné sujet à la noblesse de se priver et retrancher des honneurs de judicature ; mais l’opinion en laquelle elle a été depuis longues années que la science et l’étude affaiblissoit le courage, et rendoit la générosité lâche et poltronne… On vous demande, sire, que vous abolissiez la paulette, que vous retranchiez de vos coffres seize cent mille livres que vos officiers vous payent tous les ans, et on ne parle point que vous supprimez l’excès des pensions, qui sont tellement effrénées, qu’il y a de grands et puissants royaumes qui n’ont pas tant de revenu que celui que vous donnez à vos sujets pour acheter leur fidélité… Quelle pitié qu’il faille que votre majesté fournisse par chacun an, cinq millions six cent soixante mille livres à quoi se monte l’état des pensions qui sortent de vos coffres ! Si cette somme étoit employée au soulagement de vos peuples, n’auroient-ils pas de quoi bénir vos royales vertus ? Et, cependant, l’on ne parle rien moins que de cela, l’on en remet la modération aux cahiers, et veut-on à présent que votre majesté surseoye les quittances de la paulette. Le tiers-état accorde l’un, et demande très instamment l’autre[1].

Cette harangue fut un nouveau sujet d’irritation pour la noblesse, qui en éprouva un tel dépit qu’elle résolut de se plaindre au roi. Elle pria le clergé de se joindre à elle, mais celui-ci, se portant médiateur envoya l’un de ses membres vers l’assemblée du tiers-état lui exposer les griefs de la noblesse, et l’inviter, pour le bien de la paix, à faire quelque satisfaction. Quand le député eut parlé, Savaron se leva et dit fièrement : que ni de fait, ni de volonté, ni de paroles, il n’avait offensé messieurs de la noblesse que, du reste, avant de servir le roi comme officier de justice, il avait porté les armes, de sorte qu’il avait moyen de répondre à tout le monde, en l’une et en l’autre profession. Afin d’éviter une rupture qui eût rendu impossible tout le travail des états, le tiers, acceptant la médiation qui lui était offerte, consentit à faire porter à la noblesse des paroles d’accommodement ; et pour que toute cause d’aigreur ou de défiance, fût écartée, il choisit un nouvel orateur, le lieutenant civil de Mesmes. De Mesures eut pour mission de déclarer que ni le tiers-état en général, ni aucun de ses membres en particulier, n’avait eu envers l’ordre de la noblesse aucune intention

  1. Relation de Florimond Rapine, p. 199 et suiv.