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sur les cahiers provinciaux, le tiers-état prit dans le cahier de l’Ile-de-France, et plaça en tête de tous les chapitres un article contenant ce qui suit : « Le roi sera supplié de faire arrêter en l’assemblée des états, pour loi fondamentale du royaume qui soit inviolable et notoire à tous, que, comme il est reconnu souverain en son état, ne tenant sa couronne que de Dieu seul, il n’y a puissance en terre, quelle qu’elle soit, spirituelle ou temporelle, qui ait aucun droit sur son royaume pour en priver les personnes sacrées de nos rois, ni dispenser ou absoudre leurs sujets de la fidélité et obéissance qu’ils lui doivent, pour quelque cause ou prétexte que ce soit. Tous les sujets, de quelque qualité et condition qu’ils soient, tiendront cette loi pour sainte et véritable, comme conforme à la parole de Dieu, sans distinction, équivoque ou limitation quelconque, laquelle sera jurée et signée par tous les députés des états, et dorénavant par tous les bénéficiers et officiers du royaume… Tous précepteurs, régens, docteurs et prédicateurs seront tenus de l’enseigner et publier. »

Ces fermes paroles, dont le sens était profondément national sous une couleur toute monarchique, consacraient le droit de l’état dans celui de la royauté, et déclaraient l’affranchissement de la société civile. Au seul bruit d’une pareille résolution, le clergé fut en alarme ; il fit demander au tiers-état et n’obtint de lui qu’avec peine communication de l’article qui, en même temps, fut communiqué à la noblesse. Celle-ci, en délaissant la cause commune des laïques et de l’état, rendit complaisance pour complaisance à la chambre ecclésiastique ; mais les démarches collectives des deux premiers ordres furent inutiles auprès du tiers ; il ne voulut ni retirer ni modifier son article, et repoussa comme elle le méritait la proposition de s’en tenir à une demande de publication du décret du concile de Constance., contre la doctrine du tyrannicide[1]. Il s’agissait, là de la grande question posée dans la guerre de la ligue entre les deux principes de la royauté légitime par son propre droit, et de la royauté légitime par l’orthodoxie ; le débat de cette question que le règne de Henri IV n’avait point résolue[2], et à laquelle sa fin tragique donnait un intérêt sombre et pénétrant, fut, par une sorte de coup d’état, enlevé à la discussion des ordres, et évoqué au conseil, ou plutôt à la personne du roi.

Sur l’invitation qui lui en fut faite, le tiers-état remit au roi le premier article de son cahier, et, quelques jours après, le président de la chambre et les douze présidens des bureaux furent mandés au Louvres. Quoique Louis XIII fût majeur, la reine-mère prit la parole et dit à la

  1. Voyez, dans la Relation de Florimond Rapine, des états-généraux, etc., t. XVI, 2e partie, p. 112-164, le discours du cardinal du Perron, orateur du clergé, et la réplique de Robert Miron, président du tiers-état.
  2. Henri IV n’avait régné qu’en vertu d’une transaction avec ses sujets catholiques.