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et de la raison. Ce sont des choses déjà dites pour la plupart aux précédens états-généraux, mais accompagnées, cette fois, d’un emportement de haine jalouse contre les officiers royaux ; et, en général, contre la classe supérieure du tiers-état[1]. La noblesse ne se borne pas à défendre ce qui lui restait de privilèges et de pouvoir ; elle veut rompre les traditions administratives de la royauté française, replacer l’homme d’épée sur le banc du juge[2], et supplanter le tiers-état dans les cours souveraines et dans tous les postes honorables. Non-seulement elle revendique les emplois de la guerre et de la cour, mais elle demande que les parlemens se remplissent de gentilshommes, et qu’il y ait pour elle des places réservées à tous les degrés de la hiérarchie civile, depuis les hautes charges de l’état jusqu’aux fonctions municipales[3]. En outre, afin de s’ouvrir à elle-même les sources de richesse où la bourgeoisie seule puisait, elle demande de pouvoir faire le grand trafic sans déroger. Le tiers-état s’oppose à cette requête ; il veut que l’égalité soit maintenue dans les transactions commerciales[4].

Cette rivalité passionnée, qui donne tant d’intérêt à l’histoire des états généraux de 1614 fut pour eux une cause d’impuissance. La coalition des deux premiers ordres contre le troisième, et les ressentimens qui en furent la suite, empêchèrent ou énervèrent toute résolution commune, et rendirent nulle l’action de l’assemblée sur la marche et l’esprit du gouvernement. Au reste, quand bien même la cour du jeune roi, composée des favoris de sa mère, aurait eu quelque amour du bien public, l’incompatibilité de vœux entre les ordres l’eût contrainte à rester inerte, car le choix d’une direction précise était trop difficile et trop hasardeux pour elle. Il eût fallu, pour tirer la lumière de ce chaos d’idées, un roi digne de ce nom, ou un grand ministre. Loin de chercher sincèrement une meilleure voie, la cour de Louis XIII n’eut à cœur que de profiter de la mésintelligence des états pour le maintien des abus et la continuation du désordre. De crainte qu’il ne survînt une circonstance qui fit sentir à l’assemblée la nécessité du

  1. « Sa majesté n’aura, s’il lui plaint, aucun égard à tous tes articles qui lui seront présentés dans les cahiers du tiers-état, au préjudice des justices des gentilshommes,… attendu que ladite chambre s’étant trouvée composée pour la plus grande partie de lieutenans-généraux et officiers aux bailliages, leur principal dessein n’a été que d’accroître leur autorité et augmenter leur profit au préjudice de ce que la noblesse a si dignement mérité… » (Cahier de la noblesse de 1615, fol. 233, 254, 229, 262 et 256).
  2. Voyez dans le cahier de la noblesse l’article relatif à l’état des baillis et sénéchaux, fol. 234.
  3. Cahier de la noblesse, fol. 229, 232, 233, 234, 278 et 229.
  4. L’interdiction réclamée par lui atteint non-seulement les gentilshommes, à cause de leur privilège, mais encore les officiers royaux, à cause de l’influence attachée à leur position. Voyez le cahier du tiers-état, art. 161, et le cahier de la noblesse, fol. 232.