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mis en œuvre par des mains plébéiennes les élémens de l’ordre civil moderne ; l’opinion se donna un siècle et demi, sans réserve, à la royauté. Elle embrassa la monarchie pure ; symbole d’unité sociale, jusqu’à ce que cette unité, dont le peuple sentait profondément le besoin, apparut aux esprits sous de meilleures formes.

Ici commence une nouvelle phase de l’histoire du tiers-état ; le vide que laisse dans cette histoire la disparition des états-généraux se trouve rempli par les tentatives d’intervention directe du parlement de Paris dans les affaires du royaume. Ce corps judiciaire, appelé dans certains cas par la royauté à jouer un rôle politique, se prévalut, dès le XVIe siècle, de cet usage pour soutenir qu’il représentait les états, qu’il avait en leur absence, le même pouvoir qu’eux[1], et, quand l’issue de leur dernière : assemblée eut trompé toutes les espérances de réforme, l’attente publique se tourna vers lui pour ne plus s’en détacher qu’au jour où devait finir l’ancien régime. Recruté depuis plus de trois siècles dans l’élite des classes roturières, placé au premier rang des dignitaires du royaume, donnant l’exemple de l’intégrité et de toutes les vertus civiques, honoré pour son patriotisme, son lustre, ses richesses, son orgueil même, le parlement avait tout ce qu’il fallait pour attirer les sympathies et la confiance du tiers-état. Sans examiner si ses prétentions au rôle d’arbitre de la législation et de modérateur du pouvoir royal étaient fondées sur de véritables titres, on l’aimait pour son esprit de résistance à l’ambition des favoris, et des ministres, pour son hostilité perpétuelle contre la noblesse, pour son zèle à maintenir les traditions nationales, à garantir l’état de toute influence étrangère, et à conserver intactes les libertés de l’église gallicane. On lui donnait les noms de corps auguste de sénat auguste, de tuteur des rois, de père de l’état, et l’on regardait ses droits et son pouvoir comme aussi sacrés, aussi incontestables que les droits mêmes et le pouvoir de la couronne.

Ce qu’il y avait d’aristocratique dans l’existence faite aux cours de judicature par l’hérédité des charges, loin de diminuer leur crédit auprès des classes moyenne et inférieure de la nation, n’était aux yeux de celles-ci qu’une force de plus pour la défense des droits et des intérêts de tous. Cette puissance effective et permanente, transmise du père au fils, conservée intacte par l’esprit de corps joint à l’esprit de famille, paraissait pour la cause des faibles et des opprimés une protection plus solide que les prérogatives incertaines et temporaires des états-généraux. En réalité, l’esprit politique des compagnies judiciaire était moins large et moins désintéressé que celui dont se montraient animés, dans l’exercice de leurs pouvoirs, les représentans élus du

  1. Le parlement disait de lui-même qu’il était les états-généraux au petit pied.