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tout à l’heure du surcroît d’emphase ridicule ajouté par les copies allemande à nos originaux français ? Les phrases que vous venez de lire ont-elles jamais chez nous qui en avons les premiers donné l’air, ont-elles jamais eu cet imperturbable sérieux, cette outrecuidante banalité ? Cherchez autre part que dans les galeries charivaresques des femmes malheureuses qui glosent sur leurs malheurs avec cette superbe magnificence ! Le cri de la prophétesse au manteau de laquelle Mme Aston se raccroche avait du moins un accent de fierté sauvage qui saisit un moment les ames au dépourvu ; mais combien d’autres l’ont depuis répété, dont la sauvagerie était le moindre défaut ! et d’échos en échos il a passé le Rhin, et il s’est rencontré là de prétentieuses écolières qui l’ont redit sur le ton aigu des oiseaux parleurs.

Quand on s’est ainsi drapé dans le deuil intime de son cœur, la tentation est grande de mettre les choses de son esprit au diapason de ses sentimens. Ce qui prête un faste si détestable à ces tendres infortunes, c’est l’exaspération de l’orgueil intellectuel qui s’en empare et les étale. On souffre avec fierté des souffrances ignorées du commun des martyrs, et l’on s’avoue sans beaucoup de peine qu’il ne faut pas être une bête pour raffiner si délicatement son mal ; . Le chagrin, en devenant un rôle, conduit vite au métier d’auteur, et de la femme inconsolable il n’y a plus qu’un pas à la femme de lettres : voyez-le franchir. Il paraît que dans la tempête ci-dessus indiquée, l’esquif de Mme Aston avait sombré ; devinez ce qu’elle sauva du naufrage ?

« De l’universel naufrage où j’avais perdu tout ce que je possédais de plus cher, je ne sauvai rien que la ferme résolution de m’élever au-dessus de ma destinée en portant des regards plus libres sur un plus large horizon, de tremper mon cœur en cultivant mon intelligence, et de comprimer son inquiétude en l’emprisonnant dans le calme de la pensée satisfaite. Telle était mon intention, lorsque j’allai m’établir à Berlin, attirée là par la jeune science vivante, séduite par l’espoir d’oublier, au milieu de ses spirituels représentans, les blessures que j’avais reçues dans le combat de la vie. Je voulais me faire une carrière littéraire, je ne m’y engageais point par un vain dilettantisme : c’était la toute-puissance de mon destin qui m’y poussait, car j’avais connu par ma propre expérience le lot commun de tant de milliers de mes sœurs ; j’avais été éprouvée plus avant, jusqu’à l’anéantissement de mon être ; la force mortelle de nos liens m’était ainsi plus évidente qu’à personne. Berlin, où la vie de l’esprit est si féconde, Berlin, la ville de l’intelligence et de la pensée, me sembla tout-à-fait approprié à l’exécution de mes plans ; à l’accomplissement de ma vocation littéraire. »

Il s’est fait, de la province à Paris, plus d’une émigration analogue à celle-là ; mais où est la différence entre les deux langues et les deux natures, c’est que parmi nos émigrées les plus excentriques, pas une n’eût osé donner ses motifs avec une sincérité si altière. Le terroir est