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Fridoline et Elfride. Ces noms-là disent tout : Fridoline sera le page, le gamin de cette bucolique ; Elfride en est le saule pleureur ; la jeune Anglaise au voile vert et aux lunettes bleues.

Dans le village cependant où s’écoule au milieu d’une paix mélancolique l’obscure existence de ces êtres intéressans, arrive après bien des années un étranger d’apparence fort bizarre, maigre, pâle, le nez marqué d’une cicatrice rouge comme le sang, qui lui partage aussi toute la joue gauche. Cet étranger méconnaissable n’est ni plus ni moins que le mauvais comte, qui a refait ses affaires en Amérique, et qui veut maintenant refaire sa réputation dans son pays. Un coup de tomawhak l’a défiguré, il a même été scalpé, ou à peu près, par les sauvages ; mais, corrigé par l’expérience ; il ne pense plus qu’à regagner honnêtement tous les cœurs qu’il avait scandalisés. Sous le nom de Manhold, il achète un domaine de paysan à deux pas de la petite maison tapissée de vignes où respire sa famille. Il n’y a pas au monde un meilleur voisin par toute la Terre-Rouge de Westphalie (c’est là le théâtre de l’action), il n’y a pas un plus sage et plus généreux campagnard. Dans ce voisin sans pareil, Nanna ne devine pas son époux, ses filles n’ont jamais vu leur père : les habitans de l’endroit se demandent bien tous bas si ce n’est pas là leur ancien seigneur ; mais il fronce le sourcil quand on a seulement l’air de vouloir lui dire : Votre grace ! et, au demeurant, sa rouge cicatrice lui tient lieu de faux nez. Manhold profite en conscience de cet incognito pour réparer tous ses torts d’autrefois, pour remettre à bien les filles qu’il avait mises ou tenté de mettre à mal, pour retirer du vagabondage un méchant drôle issu de ses œuvres, rameau bâtard de la souche bâtarde des Moenheim. À force de bons soins, le prétendu Manhold rachète ainsi les crimes de l’ancien Moenheim, qui n’était pourtant pas plus. Moenheim, souvenez-vous-en bien, qu’il n’est maintenant Manhold. La récompense couronne l’expiation ; le père de famille se fait reconnaître et rentré dans le giron domestique avec la bénédiction universelle.

Mais alors, nouvelle péripétie : le vrai Moenheim, qui a grandi, qui a mûri sous le nom de Paul Rollert, apprend de sa vieille nourrice mourante le mauvais tour qu’elle lui a joué lorsqu’il était dans les langes. Aussitôt instruit de son véritable destin, il s’empresse de revendiquer le rang qui lui appartenait, et avec le rang toutes ses dépendances, les domaines dissipés et puis recouvrés par son frère naturel. L’épreuve est cruelle pour Manhold de ne plus pouvoir être désormais que Manhold, s’il n’aime mieux s’appeler à son tour Paul Rohert. C’en est fait néanmoins : la vieille nonne, témoin de la naissance des deux enfans, a déclaré que la vraie tache, le bon signe n’était pas celui que porte à la nuque le mari de Nanna. Ce sera là désormais son seul titre ; il s’enfonce plus courageusement que jamais dans sa médiocrité, et les