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et charité et la profession de foi du Vicaire savoyard, que M. Cousin a cru opportun de réimprimer, ne suffisent pas ; il nous faut sa parole, son concours dans la crise présente. M. Cousin, en dépit de cette imagination que quelques-uns lui reprochent, a reçu comme don éminent un bon sens à l’épreuve des systèmes, qui, suivant la forte expression de Bossuet, semble jaloux surtout de tenir les deux bouts de la chaîne. Il appartient aux esprits conciliateurs et fermes d’intervenir à propos dans ces ardens débats qui soulèvent souvent plus de poussière qu’ils ne font jaillir de clartés.

Pour s’adresser à la foule, pour attirer même les esprits sérieux, il ne suffit pas de nos jours d’être philosophe, il faut être écrivain ; c’est un mérite que nul du moins n’osera contester à M. Cousin. Ce style unique de notre temps et qui n’a pas cessé de gagner en sérénité et en pureté sans perdre de sa chaleur et de sa force, depuis les leçons prononcées sous la restauration jusqu’aux beaux argumens de la traduction de Platon, et jusqu’aux préfaces apologétiques des Fragmens, atteint sa perfection dans les récens morceaux sur le scepticisme philosophique de Pascal[1]. Ce qui le distingue entre tous, c’est l’ordre, la beauté régulière des développemens, un art profond en partie caché par un grand naturel ; c’est surtout une vivacité, une énergie incomparables, un ton de maître, une phrase savante, mais aisée et flexible, qui tantôt se développe et se déploie en majestueuses et souples périodes, tantôt, s’accourcissant, se replie sur elle-même et s’aiguise en traits acérés. Peu d’images, mais choisies et ornant moins le sujet qu’elles ne l’éclairent ; nul enjolivement, nul soin puéril, le style grec avec la netteté et la pureté sévère de la ligne doucement éclairée d’un certain reflet de grace platonicienne ; peu de clair-obscur et de demi-teintes comme chez Chateaubriand et Lamennais. Aucun langage n’est plus fidèle, avec un caractère d’ailleurs distinct, à la tradition du XVIIIe siècle, dont il s’approprie curieusement les secrets. On sait avec quelle piété, dans sa passion pour cette admirable langue du pur Louis XIV et de la fin de Louis XIII, M. Cousin s’applique à en rétablir le texte exact, à en recueillir les moindres traits. Ses travaux sur Blaise et sur Jacqueline Pascal ne sont pas seulement des modèles consommés d’éloquence, mais des chefs-d’œuvre de cette intelligente et délicate érudition qui n’appartient qu’aux artistes en fait de langage. Là-dessus, il ne faut pas seulement le lire, il faut l’entendre. Il n’a pas médité Pascal, il l’a vu et entendu. Mme Angélique Arnaud l’héroïque, la sainte Mme Agnès, la belle, la fière, la languissante, la subtile Mme de Longueville, sont pour lui des figures vivantes ; il les a quittées tout à l’heure. Il sort de Port-Royal pour vous en donner des nouvelles toutes fraîches.

  1. Voyez les livraisons de la Revue du 15 décembre 1844 et du 15 janvier 1845.