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science sociale. La révolte de la femme contre l’homme gardait toujours dans Molière, même en son plus bel apparat, tout un côté plaisant par où elle se rattachait à l’ancienne et inoffensive raillerie des fabliaux. Les gausseries du moyen-âge à l’endroit de la comédie conjugale n’étaient que divertissemens purs ; on était si sûr du divin fondement des institutions domestiques, qu’on se jouait sans autre conséquence avec les misères et la fragilité de leur humaine enveloppe. Le jeu maintenant est devenu un drame : on dédaignerait d’échapper par légèreté à la discipline de la famille, on brise le joug par système ; il n’y a plus de maris trompés, il n’y a que des femmes qui protestent, chacune selon ses moyens.

Les moyens de Nanna sont entre tous, des moins criminels ; elle est prêcheuse de son métier, et, quand elle arrive de la théorie, à la pratique, tout ce qu’elle essaie de plus décisif pour hâter l’émancipation du genre humain, c’est de fonder des salles d’asile, de vraies salles d’asile socialistes par exemple, et dont la donnée pourrait au besoin servir de modèle. On évite soigneusement d’y parler de Dieu aux petits enfans, de les épouvanter de Dieu ; en revanche on leur apprend l’entomologie et l’ornithologie. Rien de plus sérieux et de plus onctueux que la façon dont Nanna débite ce salutaire enseignement. Après tout, Nanna ne manque pas d’avoir une religion à sa manière, mais elle y veut marcher « sans balancier ; » elle a eu le courage « de déshabiller la madone, de Lorette, et ce qui lui est resté, c’est la vierge de Saïs moins son voile. » - « Ah ! Nanna, s’écrie une pauvre servante qu’elle étourdit de ce curieux sermon, je ne pourrai jamais atteindre ces hauteurs, et la tête me tourne ! ’ » Encore une fois, Nanna n’est qu’une prêcheuse et il s’en faut et que ce soit la prêcheuse de Jean-Jacques, quoiqu’il y ait des gens, dont je ne suis pas, qui prétendraient peut-être qu’elle en descend en droite ligne. Nanna prêche au coin du feu ou à l’ombre de son figuier ; elle est assise dans les clartés mourantes du couchant, avec ses paupières immobiles et closes, avec la tête penchée sur son sein, avec sa pâle figure baignée de ses longs cheveux noirs. L’héroïne de Mme Aston entend autrement la protestation des filles du siècle contre les tyrannies du passé. Elle est équipée, de pied en cap en soldat du progrès : elle a endossé la blouse des travailleurs, elle a ceint le pantalon des femmes libres, elle tient à la main les pistolets de l’émeute, et, admirez l’inconséquence, Mme Aston n’a pu s’empêcher de l’intituler la baronne. Alice. Cette démocratie menteuse a toujours le goût des gens mal élevés pour les cinquants aristocratiques.


III

Il arrive d’ordinaire, dans les ouvrages d’imagination, que l’auteur s’identifie plus ou moins volontairement avec celle de ses figures dont