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raconté les rudes épreuves supportées à Médéah par les zouaves pendant l’hiver de 1840 me confia alors un journal, dont il m’avait souvent parlé Confidence de la solitude, curieux chapitre des souffrances de l’armée d’Afrique, le journal de l’officier de zouaves avait pour épigraphe ces paroles de Blaise de Montluc : « Plust à Dieu que nous lui portons les armes prinsions cette coutume d’escrire ce que nous volons et faisons, car il me semble que cela seroit mieux accommodé de notre main, j’entends du fait de la guerre, que non pas des gens de lettres, car ils déguisent trop les choses, et cela sent son clerc. » Le journal qu’on va lire a besoin de quelques explications. En 1840, la guerre frappait encore aux portes, d’Alger, et Milianah était coupée ; si Médéah et Milianah avaient une garnison française, il fallait une armée pour la ravitailler ces villes. Au mois d’octobre de cette même année, on venait de se porter au secours de Milianah, dont la garnison, décimée par la nostalgie, la famine et les maladies, avait presque succombe sous sa tâche : de 1,400 hommes, 720 étaient morts, 500 étaient à l’hôpital ; à peine si les autres avaient la force de tenir leurs fusils et pour peu que l’on eût tardé de quelques jours, la ville se voyait prise faute de défenseurs. Au retour ces cadavres vivans furent portés par des bêtes de somme. On conçoit qu’un pareil spectacle avait dû faire une vive impression sur l’armée, car si pendant l’été l’on avait eu à redouter de pareilles souffrances, que serait-ce donc l’hiver venu ! Il fallait pourtant relever la garnison de Médéah, comme l’on avait relevé celle de Milianah ; et M. le maréchal Valée ne voulut envoyer à ce poste que des hommes endurcis, qui trouvassent dans l’esprit de corps et dans l’honneur attaché à leur nom la force nécessaire pour résister à toutes les privations, à toutes les souffrances de l’isolement. Les zouaves furent désignés pour aller occuper Médeah.


I

Le 18 novembre 1840, deux bataillons de zouaves, forts de cinq cents hommes chacun, commandés par MM. Renaud et Leflo, prenaient possession de la ville de Médéa, où ils devaient tenir garnison pendant tout l’hiver, sous les ordres de leur lieutenant-colonel, M. Cavaignac, nommé commandant supérieur. L’usage veut que l’on appelle Médéah une ville ; mais, pour rester vrai, il faudrait inventer un nom qui pût désigner cet amas de décombres et de masures. Les zouaves relèvent le 23e, et un officier de ce régiment a été pour moi une providence en me laissant une peau de mouton, une table, des bancs, deux coffres, quelques vases, précieuses ressources au milieu de la misère générale.

Le 19, l’armée nous quitte ; elle lève son bivouac pour retourner à Alger, et, à sept lieues et demie, les derniers pelotons de l’arrière-garde