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fusion est le point essentiel, et l’on doit laisser refroidir le plomb jusqu’à ce que le papier soit simplement roussi.

Tandis que les chasseurs travaillent ainsi pour leur plaisir, les zouaves raccommodent leur équipement et en inventent, même un nouveau. Par ordre du colonel, l’administration nous livre des sacs. Avec cette grosse toile et des côtes de bœuf, chaque soldat aura une paire de guêtres de rechange. Un zouave, ancien ouvrier boutonniez, est charge ; de diriger l’opération : quant au fil nécessaire, d’anciennes gargousses d’artillerie nous fournissent de, vieilles, étoupes ; on en trouve aussi dans les écuries, ou elles ont servi à panser des chevaux. Rien de plus original que l’aspect de l’atelier, ou de vieux grognards, de vieux zouaves aux longues moustaches, à la barbe épaisse, au teint bronzé, balafrés de cicatrices, filent gaiement comme de vieilles femmes. C’est vraiment une vaillante troupe, bonne au danger, bonne à la fatigue, qu’une situation difficile n’embarrasse jamais ; bien commandée, elle fera toujours des prodiges, et, grace au ciel, se tirera dignement, nous l’espérons, de la nouvelle épreuve qui lui est imposée.

Un déserteur nous est arrivé le 17, un homme de Tripoli., enlevé avec une caravane dans le sud ; il a été amené, après maintes aventures, à Berkani, et forcé de s’engager parmi les réguliers de l’émir. Cet homme nous sert dans une reconnaissance que nous faisons du côté du Nador, pays couvert de cultures magnifiques où nous trouvons les traces des irrigations les mieux entendues. La tradition a sans doute conservé parmi les Arabes ce système d’irrigations semblables à celles de la Catalogne et du Roussillon. Tout en donnant des détails curieux sur divers engagemens, ce déserteur confirme la présence d’officiers anglais au camp d’Abd-el-Kader, présence déjà annoncé par le maréchal Valée. L’un d’eux se trouvait, le 27 octobre, au bois des Oliviers. Conduit par un Juif de Gibraltar, cet officier, venu par le Maroc, était vêtu en bourgeois ; le déserteur l’a vu pendant deux jours, et l’officier anglais n’a disparu qu’au moment où notre division arrivait au col.

En rentrant dans la ville, nous avons trouvé une dépêche télégraphique annonçant l’arrivée à Alger du drapeau depuis si long-temps promis aux zouaves ; chacun en est heureux comme d’une bonne fortune particulière, chacun partage la joie du colonel Cavaignac, qui, dans un ordre du jour, s’empresse de porter cette heureuse nouvelle à la connaissance des officiers, sous-officiers et soldats. Les uns y verront la récompense justement désirée de longs et glorieux services, les autres se feront dire ce qu’il en a coûté pour la conquérir, et penseront bien à ce qu’il doit en coûter encore pour la conserver et s’en montrer toujours dignes ; tous se réuniront dans le sentiment unanime d’un dévouement énergique à la gloire de nos armes en Afrique, à l’honneur du corps dont la constitution vient de recevoir une dernière sanction. »