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— Oui, et après vous retournerez à Alger, et vous nous abandonnerez à l’émir, qui tuera nos enfans et enlèvera nos femmes.

— Alors faites-vous garder par ses soldats.

— Ses soldats sont comme une vieille serrure qui ne ferme plus la porte et laisse la maison ouverte.

À ce moment, les camarades du Kabyle le rappelèrent ; il reprit son fusil et recommença la bataille. Ailleurs des injures s’échangeaient. Tous ces gens-là n’ont pas l’air disposé à se battre ; pourtant l’un d’entre eux s’est avancé, faisant tourner son fusil autour et au-dessus de sa tête, en homme qui a pris son parti. Aussitôt un de nos soldats se jette au-devant de lui, s’avance à cinquante pas, ajuste et fait feu. – Ah ! s’écrie ce Kabyle en gémissant et tombant à terre, je suis mort. – Son fusil s’échappe, en effet, de ses mains ; nous le croyons tous atteint, et nous disons au zouave : — Cours dessus, et désarme-le. — Mais celui-ci, se grattant l’oreille : — Cet animal là me tire une couleur, je ne l’ai pas attrapé. Eh ! malin, connu ! connu ! -- Et il recharge son fusil sans bouger davantage. Le rusé Kabyle se relève alors et reprend son arme, fait feu à son tour, et se sauve en éclatant de rire.

Ces petits combats nous ont amusés et distraits ; mais le 4 février, nous avons tous été en émoi. À la chute, du jour, des feux nombreux ont été aperçus, à deux lieues de la ville, sur le chemin de Milianah. La garnison court aux remparts ; sans doute c’est une colonne qui a ravitaillé Milianah ; elle vient nous voir au retour. La joie du passager, après une longue traversée, lorsqu’il découvre la terre, n’est pas plus vive que celle de nos soldats dans les rues, l’on n’entend que ces cris : « la colonne ! la colonne ! » et, près de moi, un zouave répond à un de ses camarades. — Tais-toi, tu me fais frémir de la peur de me tromper. — Ceux-là seuls qui ont connu l’isolement peuvent savoir tout ce que nous avons éprouvé. Dieu veuille enfin que nous recevions des lettres, des nouvelles !

Hélas ! les feux d’hier soir n’étaient point les feux d’une colonne française ; c’étaient ceux des réguliers du bataillon d’El-Berkani. Le 5 février, dès la pointe du jour, des cavaliers et des Kabyles sont venus tirer des coups de fusil sur nos postes avancés. Bientôt l’attaque devint plus vive, et il fut évident que nous aurions dans la journée un engagement sérieux. À neuf heures, tout ce que nous avions de soldats disponibles était sous les armes, et nous marchions à l’ennemi. De nombreux contingens kabyles et un bataillon régulier étaient devant nous, bien embusqués, bien établis : l’engagement fut vif, et si un second bataillon régulier, masqué jusque-là, eût retardé de quelques instans le mouvement qu’il tenta pour couper notre arrière-garde, nous aurions pu avoir beaucoup de monde ; hors de combat ; mais, faisant face à tous les ennemis, nos petits bataillons en ont eu bientôt raison, et, la mitraille