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questions, de réponses ; nous ne savons plus rien, nous voulons tout apprendre : le soir venu, nous sommes accablés de fatigue comme à la fin d’une longue marche. Enfin, ce matin, la diane a été battue, et tandis que le 53e s’établit à Médéah, notre tête de colonne s’ébranle dans la direction du col. Deux jours encore, et nous serons à Blidah…

Me voici dans une petite chambre, tout étonné de ne pas voir la pluie pénétrer par le toit, dans une maison solidement bâtie qui défie les orages ; je recueille mes souvenirs, pendant qu’autour de moi l’on n’entend que les chansons, les rires de ces corsaires débarqués, de nos zouaves. Tout l’arriéré de la solde leur a été payé, et si pendant cinq mois ils sont restés sans vin, sans eau-de-vie, presque sans tabac, n’ayant pas seulement du pain blanc pour tremper la soupe, trois jours leur sont donnés pour oublier leurs privations et noyer leurs fatigues dans de copieuses libations Depuis hier, point d’appel, point de service, point de consigne ; tous les hommes sont frères ; dans la ville, il n’y a que gens qui s’embrassent, qui roulent ensemble sous les tables après avoir mangé en un seul repas les économies forcées de tout un hiver. Après-demain, l’inexorable discipline reprendra ses droits, chacun oubliera sa liberté, et dans huit jours nos vêtemens réparés nous permettront de prendre part aux courses nouvelles que l’on annonce déjà.


III

« Il va de la douleur, dit Montaigne, comme des, pierres qui prennent couleur ou plus haute ou plus morue, selon la feuille où l’on les couche, et qu’elle ne tient qu’autant de place en nous que nous lui en faisons. » L’armée d’Afrique a prouvé la vérité de ces paroles. Courageuse et patiente, elle a su traverser les plus rudes épreuves sans faiblir, supporter tour à tour la fatigue ignorée et sans gloire, et dominer le péril à force d’audace ; mais, si l’on doit citer la constance et l’abnégation de cette noble infanterie, dont les zouaves sont l’honneur, que de fois aussi la cavalerie, par sa verve courageuse, ne s’est-elle pas montrée la digne héritière de la furie française !

Deux élémens divers s’unissent dans la cavalerie d’Afrique pour le succès de nos armes : l’élément français et l’élément arabe, le spahi et le chasseur. — Ces grands soldats à la jacquette bleue n’auraient pu, malgré leur courage, exécuter seuls les hardis coups de main qui leur ont valu si grand renom. Pour, chasser l’Indien des forêts de l’Amérique, l’Indien fut nécessaire ; l’A l’Arabe sur la terre d’Afrique, était nécessaire pour lutter avec l’Arabe. Au bras qui frappe, il faut le regard qui découvre et guide la pensée. Telle fut l’origine des spahis. L’appât du gain attira des cavaliers arabes ; ils eurent une discipline moins sévère que la discipline française, et pour tout uniforme un burnous