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son ironie eût-elle changé de but : il n’eût point manqué surtout, j’imagine, d’étincelans sarcasmes pour livrer à la risée publique ces esprits ambitieux et faux, saturés de fictions corrosives, qui traînent sur tous les théâtres l’orgueil de leurs sophismes vieillis et de leurs chimères ; — fatalistes honteux qui parlent hypocritement de Dieu et de la liberté, grands apôtres de morale universelle qui purifient de leur souffle l’adultère et l’inceste et poétisent les courtisanes, grands prétendans au style qui en viennent à recueillir dans les polémiques obscures ces lambeaux de phrases souillées sur le parti prêtre, sur les mystères du confessionnal, ou l’ombre des soutanes !

Un trait commun à ces talens faussés, qui abondent par malheur dans notre temps, c’est que la puissance des catastrophes ne parvient ni à les éclairer, ni à les émouvoir, ni à troubler un instant cette suprême satisfaction d’eux-mêmes où ils vivent. Ils sont aujourd’hui ce qu’ils étaient hier, les hardis et malfaisans spéculateurs de l’imagination. Ils se drapent glorieusement dans leurs haillons déteints, et ils semblent ne se point douter de tous les outrages qu’ils infligent au sentiment moral aussi bien qu’au sentiment littéraire. Ils jouent avec nos malheurs comme avec les élémens d’un roman ou d’un drame, ils triomphent même des ruines. Qu’importe à M. Dumas, l’un des héros de cette vie aventurière de l’esprit, que tout chancelle autour de lui. Il proclamera, dans une préface, la souveraineté de l’art, personnifiée en lui sans doute, au-dessus de tous les écroulemens contemporains ; il tournera la roue de cette machine à production d’où sont sortis mille plagiats, mille compilations, mille récits sans génie, et d’où s’échappe encore aujourd’hui le Collier de la Reine, qui s’arrête modestement au vingt-cinquième volume ; ou bien il rédigera un journal pour raconter dans le style de Monte-Cristo et des Filles, Lorettes et Courtisanes, les révolutions de la Hongrie et les malheurs de Venise. M. Dumas a un mérite original et rare : il trouve moyen de révéler des côtés bouffons et grotesques dans les désastres de l’intelligence littéraire. On oublie presque qu’on vit dans un monde sérieux, en voyant l’auteur des Trois Mousquetaires promener su candidature universelle aux dignités politiques des Pyrénées au Rhin, de France au-delà des mers, et semer dans les journaux ces lettes, précieuses de ridicule, où il dit leur fait aux hommes d’état, pauvres hommes d’état qui ont le tort de ne point goûter la saveur généreuse des viols d’Antony, des accouchemens clandestins d’Angèle et même des mystiques hystéries du Compte Hermann, cette révélation prophétique de l’art rajeuni ! Pourquoi ne point le dire en effet ? M. Dumas aspire à une gloire nouvelle, celle de régénérer l’art en le moralisant, en le spiritualisant, ainsi qu’il l’affirme. Et comment, je vous prie, travaille-t-il à cette régénération ? En offrant comme l’effort sublime du devoir, comme le type de la moralité