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officiers-généraux des pouvoirs supérieurs à ceux des divisions. Or, la réunion de plusieurs divisions dans une seule main n’est pas interdite par la loi, et il y a eu plusieurs exemples de cette mesure sous les gouvernemens précédens. La légalité est donc pour le décret du 12 février aussi bien que l’opportunité.

La montagne aurait bien voulu profiter de cet incident pour faire un coup de théâtre à sa manière. Elle a cru l’occasion favorable pour traduire à la barre de l’assemblée la politique du 10 décembre, et pour dévoiler les desseins de l’Élysée. L’honorable membre qui s’est chargé du rôle d’accusateur a eu néanmoins peu de succès. Il en a été pour ses frais de courage et d’éloquence. Il a eu beau dérouler à la tribune les preuves du grand complot tramé contre la constitution ; la majorité, qui entend parler de ce complot tous les matins sans le voir aboutir, et qui, à force d’en entendre parler, est bien excusable à la fin de nous y croire, la majorité est restée muette, et a pleinement ratifié par son vote la politique du gouvernement. M. le ministre de la guerre, provoqué par des interruptions violentes, a défendu cette politique avec une fermeté d’attitude et de langage que nous approuvons sans réserve. En résumé, dans les circonstances actuelles, la mesure des commandemens militaires est un service rendu à la société. De la part du gouvernement du 31 octobre, elle a ceci de particulier à nos yeux, qu’elle n’est pas une démonstration vaine, une parade inutile, mais le signe d’une politique nette et résolue, qui procède sans bruit et sans éclat, et qui agit par là d’autant plus sûrement.

Des esprits difficiles ont remarqué qu’aucun orateur de la majorité n’avait pris la parole dans cette discussion. Ils ont regretté que le ministre de la guerre ait été seul à défendre le gouvernement attaqué. À cela, on peut répondre deux choses : c’est que le vote de la majorité ne permet pas d’accuser son silence ; c’est qu’ensuite ce silence s’explique par la nature même du débat qui était engagé. La majorité, bien certainement, ne peut désapprouver des actes de vigueur : elle est la première, au contraire, à les réclamer et à en reconnaître l’impérieuse nécessité ; mais elle ne peut se dissimuler que la France, ainsi poussée vers des mesures extrêmes par les implacables ennemis de sa liberté et de son repos, s’avance de plus en plus dans une voie qui fait naître de tristes réflexions. Avec l’état de siége rendu permanent sur une partie du territoire, avec des commissaires extraordinaires dans les départemens, avec ces nouveaux commandemens militaires, qui transforment les garnisons de nos provinces en plusieurs armées d’occupation, la France, on est bien forcé d’en convenir, n’est plus que l’ombre d’elle-même. Ce n’est plus ce pays que nous avons connu, si jaloux de son indépendance et de sa dignité, si fier de sa liberté régulière. La caserne et le bivouac deviennent de plus en plus le régime habituel de notre société. Le régime est légal, cela est vrai : il faut le soutenir, puisqu’il est aujourd’hui le plus sûr rempart de l’ordre ; mais il est permis de le soutenir silencieusement, avec une attitude de résignation et de tristesse c’est biome moins qu’on puisse rendre cet hommage à l’ancienne liberté qu’on a perdue.

Si nous comprenons et si nous approuvons l’attitude que la majorité a prise dans la discussion sur les commandemens militaires, nous comprenons beaucoup moins l’excessive tolérance qu’elle a montrée en faveur de la proposition relative aux associations d’ouvriers. Nous ne voulons pas dire qu’il n’y ait rien