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d’autant plus indulgente pour un coup de main de ce genre, qu’en enlevant Cuba à l’Espagne, elle croirait ne l’enlever qu’aux États-Unis, qui convoitent, eux aussi, très ardemment cette reine des Antilles. Il n’y a pas long-temps qu’une bande d’aventuriers américains tenta de s’en emparer. Le projet échoua complètement ; mais ; pour qui connaît l’inexorable obstination de la race anglo-américaine, ce n’est là évidemment qu’une partie remise. La réprobation formelle dont ce guet-apens a été l’objet dans le dernier message du président n’est pas de nature à rassurer entièrement l’Espagne. Outre cette irresponsabilité qui caractérise toutes les démocraties, la démocratie américaine à pour elle certaine largeur de conscience qui s’accommode de tous les envahissemens. Le gouvernement central peut empêcher qu’une expédition contre Cuba s’organise dans les ports de l’Union ; mais là s’arrêtent de fait et sa responsabilité et son droit. Cette île une fois prise, il ne dépendrait probablement pas de lui d’en empêcher l’annexion, qui ne serait tout au plus qu’une affaire de temps.

Contre ce double danger, l’Espagne a, du reste, une garantie puissante, l’intérêt même des colons. Éclairée par la perte d’une moitié du continent américain sur les vices de son ancien système colonial, l’Espagne a fait à l’île de Cuba une situation telle que cette île a tout intérêt à rester fidèle à la mère-patrie. Depuis 1829, son mouvement commercial avec l’extérieur s’est accru d’un peu plus de 60 pour 100. À l’intérieur, même progression. Le territoire cultivé de la colonie s’est développé de près d’une moitié en sus. L’industrie minière y prospère, et les chemins de fer y présentent déjà un développement de 300 milles anglais. La population blanche s’y multiplie enfin avec une rapidité telle que, sous le rapport de l’immigration, les États-Unis n’ont qu’un avantage de 7 pour 100 sur l’île de Cuba.

Quelques arrestations politiques sans importance, mais qui prouvent cependant que le noyau de la petite conspiration carlo-exaltée n’est pas encore dissous, ont été faites le 22 à Madrid. Depuis quelques semaines, la capitale était inondée de proclamations séditieuses, carlistes, ou progressistes, mais généralement dirigées contre le duc de Valence, au nom duquel étaient accolées les plus injurieuses épithètes. On a découvert la source de ces manœuvres révolutionnaires. Deux personnes qui se chargeaient de la distribution de ces papiers ont été mises en prison. L’auteur principal, le colonel Ametller, amnistié, et l’un des membres les plus turbulens du parti progressiste, a pu se soustraire aux recherches de la police.

L’Europe orientale tend de plus en plus ouvertement à rentrer dans sa situation normale. La Russie, dont l’influence a pu paraître un moment fort menaçante, semble s’étudier à rassurer l’opinion. Le cabinet de Saint-Pétersbourg a montré qu’il était fort ; peut-être veut-il prouver qu’il est modéré. Il tient plus, dirait-on, à gagner la confiance de l’Occident qu’à lui inspirer des craintes. Les armées russes, en quittant la Hongrie dès le lendemain de leurs succès, ont donné à entendre que le czar ne songe point à faire de conquêtes à l’ouest. En évacuant aujourd’hui partiellement les principautés du Danube, pour se renfermer dans les stipulations de la convention de Balta-Liman, les Russes annoncent à l’Europe que, pour le moment du moins, ils n’ont point intention de créer de nouvelles difficultés à la Turquie. Et de fait, si la Russie