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ce que notre territoire soit ingrat ? Non, car de toutes parts on s’accorde à en célébrer la fertilité en même temps que le charme de notre climat. Si la France est pauvre, il faut l’attribuer à des causes qui sont essentiellement artificielles, et à l’influence desquelles nous pouvons nous soustraire graduellement. C’est le moment ou jamais de faire un effort.

La pauvreté relative de la nation française ne peut s’expliquer que parce qu’on y aura été moins heureux qu’ailleurs, depuis un siècle ou deux, dans le choix de la direction à donner aux intérêts de la société ; elle ne peut provenir que de certains caractères imprimés à notre législation, à notre système administratif, à notre politique intérieure et extérieure. Comme des nations puissantes et éclairées ne sont jamais gouvernées malgré elles, il faut bien confesser en toute humilité que nous tous du public, nous devons avoir eu de grands travers d’esprit ou de funestes passions, probablement les deux, qui nous auront troublé la vue. Toutes ces causes auront agi, les unes immédiatement, les autres d’une façon médiate, sur le travail national. C’est ainsi qu’il a été et qu’il est moins fécond que celui des Anglais ou des Américains. Et pourtant ces deux peuples conçoivent pour eux-mêmes un ordre social meilleur, je veux dire plus favorable à l’aisance générale ; ils pensent y atteindre par la modification successive de leurs lois, en rendant celles-ci de plus en plus conformes aux principes qui régissent les peuples libres. Pour les personnes qui scrutent le fond des choses, l’histoire de la civilisation même sous un certain aspect, n’est que le développement successif de la puissance productive du genre humain, c’est-à-dire l’agrandissement graduel de la quantité d’objets répondant aux besoins des hommes qui résulte du travail journalier d’un individu[1]. Ce n’est donc point s’aventurer que d’affirmer qu’il y a lieu d’accomplir chez nous une œuvre législative très vaste et très variée d’où résulterait immanquablement un surcroît de fécondité dans le travail national, et par conséquent la diminution de la misère. Sans doute, avec cette législation devrait aller de pair le progrès des mœurs, quid leges sine moribus, a dit le poète il y a dix-huit siècles. Eh ! qui donc le conteste ? Ce ne sera pas l’œuvre d’un jour ni d’un an ; mais qui donc le prétend ? Mettons-nous promptement et résolûment à l’œuvre, et ne nous en laissons pas distraire : nous n’y serons ainsi que tout juste le temps nécessaire.

Mais ce changement successif et gradué de la législation, en quoi peut-il consister ? Pour l’indiquer avec quelque précision, il aurait fallu faire la biographie de l’homme industrieux, un exposé de sa vie

  1. On trouvera quelques observations sur ce sujet dans la Revue des Deux Mondes du 15 mars 1848, article intitulé Question des travailleurs.