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apporter que ce qui presse. Si l’on voulait remettre la question sur le tapis, ce n’aurait dû être que pour s’informer si la liberté en pareil cas ne serait pas préférable aux restrictions. Presque partout aujourd’hui les ouvriers travaillent à façon et non à la journée ; c’est donc l’ouvrier qu’on gêne par une fixation absolue de la journée plutôt que le chef d’industrie. On ne devrait pas perdre de vue que, sous le régime du travail à façon et même sous celui du travail à la journée, réduire par la loi la durée du travail équivaut à réduire les salaires. À moins d’une forte compression exercée sur la société, ce qui ne peut avoir qu’un temps, l’un entraîne nécessairement l’autre.

Le travail des enfans appelle une protection plus particulière. L’humanité gémit de voir des êtres trop faibles jetés dans les ateliers ; malheureusement c’est une affaire de nécessité pour les familles pauvres. L’ouvrier fait travailler son fils en bas âge, parce qu’il a besoin que cette petite créature, qui dépense dans la maison, y apporte quelque chose. Entraver les ouvriers en cela, ce n’est pas seulement les mécontenter ; c’est, dans beaucoup de cas, augmenter la détresse des familles nombreuses. Il n’y a pas deux moyens d’empêcher bien effectivement les enfans d’entrer trop tôt dans les ateliers, et les femmes, comme au surplus les adultes eux-mêmes, d’y faire de trop longues journées ; il n’y en a qu’un : c’est d’augmenter l’aisance générale de la société, d’y multiplier le capital, qui est le fonds sur lequel les ouvriers de toute espèce sont rétribués, et ceci ne s’opère pas du jour au lendemain par la vertu d’un peu de grimoire inscrit au Bulletin des Lois ; c’est l’œuvre d’une politique intelligente et sage, soutenue pendant une suite d’années et assistée du concours de toutes les classes du public. Quand le législateur prend des mesures restrictives au sujet du travail des enfans ou des femmes, il doit y procéder avec beaucoup de réserve, de peur qu’en voulant faire du bien, il ne fasse tout le contraire. Présentement, le mieux serait de se borner à rendre plus efficace la surveillance instituée par la loi de 1841, et à tenir la main, conformément à l’esprit de cette loi, à ce que les ateliers soient salubres, à ce que la morale enfin n’ait plus à souffrir de la confusion des deux sexes. C’est demandé depuis long-temps. Les deux chambres, sous la monarchie, avaient retenti de réclamations à ce sujet : il n’était pas besoin de l’approbation du conseil général pour qu’une proposition législative dans ce sens se présentât avec une autorité suffisante.

Au sujet de cette question complexe concernant le travail, l’administration n’a pas eu suffisamment conscience des limites dans lesquelles la puissance de la loi peut s’exercer. La loi est impuissante, et ses efforts échouent quand elle va contre les nécessités sociales et qu’elle tait abstraction des mœurs.