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L’application régulière du gouvernement républicain, dans le sens ou l’entendait la gironde, n’était possible que si chaque citoyen était résolu à faire de la chose publique sa chose propre, qu’autant qu’il apportât, par exemple, dans ses devoirs de garde national, d’électeur ou de juré, la même application et la même suite que dans l’exercice quotidien de sa profession particulière. Or, le monde moderne n’avait vu réalisée qu’aux États-Unis cette assimilation de la vie publique à la vie privée, qui semble répugner invinciblement au génie des populations européennes. Lorsque les girondins lançaient leur pays dans tous les hasards d’une transformation sociale entreprise en pleine guerre étrangère et en pleine guerre civile, ils n’avaient donc ni une autorité ni un exemple pour appuyer un si radical bouleversement. L’Angleterre où la royauté avait eu cependant une importance historique beaucoup moindre qu’en France, avait aboli avec des transports de joie la forme républicaine, imposée à ses répugnances par quelques soldats qui en tirent bientôt sortir le despotisme de leur général. La Hollande, issue d’une lutte de soixante ans contre le despotisme, avait abrité ses institutions républicaines sous la forme quasi-monarchique du stathoudérat. Ce n’étaient ni les démocratiques usages des pasteurs de Schwitz, ni les féodales traditions du patriciat bernois, ni les lois de l’aristocratique Venise, qui pouvaient offrir des applications à la grande et riche société française, avec l’infinie variété de ses mœurs et la puissante unité de son génie politique. Les souvenirs de l’antiquité si fréquemment invoqués restaient plus inapplicables encore à un état chrétien, qui, même en répudiant ses croyances, ne pouvait répudier les mœurs que celles-ci lui avaient données. Dans les petites sociétés du Péloponèse et de l’Attique, les citoyens, allégés par l’esclavage du fardeau de la plupart des fonctions domestiques, exerçaient directement la souveraineté. À Rome, la liberté n’était que le despotisme d’une seule ville s’exerçant sans pitié dans le silence et l’oppression de l’univers vaincu. Malgré la nauséabonde abondance des citations empruntées aux traductions de Plutarque, il n’y avait donc rien à prendre dans cette défroque de théâtre dont se drapaient à l’envi les orateurs de la gironde et de la montagne.

Remarquons toutefois que, dans cette lutte entre d’assez faibles humanistes, l’avantage demeurait tout entier aux discoureurs furieux de l’école de Robespierre sur les beaux parleurs de l’école de Brissot. Jamais, en effet, l’antiquité n’avait ni connu ni soupçonné cette république représentative, conduite par une assemblée de délégués venus de tous les points d’un vaste empire, avec son gouvernement d’hommes de loi, d’hommes de lettres et d’hommes d’affaires. La dictature révolutionnaire à laquelle aspirait la commune de Paris n’était pas, au contraire, sans analogie avec le régime que Rome faisait subir aux