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de dissolution, c’est que leurs antécédens politiques les avaient placés en dehors de tous les grands partis, et que, depuis le 21 janvier, ils ne représentaient plus que leur propre individualité, que presque tous avaient abaissée en s’associant à une iniquité manifeste. Un accord sérieux était impossible entre les orateurs qui se vantaient chaque jour d’avoir fait le 10 août et la bourgeoisie que cette journée avait précipitée du pouvoir ; d’un autre côté, ceux qui avaient conduit Louis XVI à l’échafaud ou qui l’y avaient laissé monter inspiraient une invincible répugnance à tout ce qui conservait au cœur quelque chose du vieux culte de la monarchie, et la présence des conventionnels fugitifs à la tête des forces fédéralistes suffisait pour rendre le concours du parti monarchique manifestement impossible. N’ayant pour soldats que les constitutionnels, qu’ils avaient livrés au 10 août, pour auxiliaires que les royalistes, aux yeux desquels le vote régicide s’élevait comme une infranchissable barrière ; obligés, pour commander leurs troupes, étrange exemple d’impuissance ! de choisir Wimpfen, un général constitutionnel de la veille, et Puisaye, un chef de chouans du lendemain, les girondins n’apportaient avec eux aucune force qui leur fût propre, et arrêtaient partout l’essor des inpirations énergiques. En faisant appel à des sentimens républicains qui ne vibraient pas naturellement dans les classes moyennes auxquelles ils s’adressaient, en se parant de souvenirs repoussés par la conscience publique, ces hommes dépensèrent donc, sans profit pour leur cause, la puissance de leurs talens et le prestige de leurs malheurs. Si les départemens furent vaincus dans leur croisade contre Paris, si des millions de bourgeois furent asservis par quelques milliers de sans-culottes, la faute en fut surtout aux hommes politiques qui reçurent des circonstances mission de diriger cette lutte. La première condition du succès dans les guerres civiles est de combattre pour des idées nettement définies, sous des chefs qui éprouvent les passions, qui expriment les opinions et les espérances de tous. Les partis peuvent bien se rallier en passant, et pour un intérêt transitoire, sous un drapeau d’emprunt ; mais, lorsque l’instant est venu de consommer les grands sacrifices et de prodiguer sa vie, il faut que la confiance soutienne le courage, et qu’il n’y ait rien d’équivoque entre nos actes et notre but, entre notre conscience et la mort. Les girondins et la bourgeoisie française en firent dans le passé la triste expérience : puissent les partis contemporains n’être pas appelés à la renouveler dans l’avenir !


LOUIS DE CARNE.