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de faim. Ils menaçaient leurs adversaires d’une journée de septembre. Voilà, sachons-le bien, l’entretien naturel des clubs ; ils ne peuvent pas en avoir d’autre, parce qu’ils n’ont nécessairement pour auditeurs que les sept péchés capitaux, qui font, il est vrai, une foule immense. Qui dit club dit orateur factieux et foule tumultueuse ; qui dit club dit l’ambition s’adressant à l’envie ; qui dit club dit la barbarie conspirant et prêchant contre la société. Le gouvernement provisoire s’écriait dans une proclamation le 19 avril 1848 « Les clubs sont pour la république un besoin ; le gouvernement provisoire protége les clubs ! » Un besoin pour la république du 19 avril 1848, c’est possible ; mais pour la société, jamais !

La loi sur la déportation est définitivement adoptée. Rien n’a signalé la troisième délibération que le maintien de l’article 8 à une faible majorité. On sait que, pendant la seconde délibération de cette loi, la question s’éleva de savoir si la déportation serait applicable à ceux qui avaient été condamnés à la détention perpétuelle avant la promulgation de la loi nouvelle. La détention perpétuelle n’existe, en effet, dans le Code que pour remplacer la déportation. La déportation est la peine légale ; seulement, comme la déportation n’était pas possible avant qu’on eût désigné un lieu de déportation, la détention perpétuelle remplaçait la déportation. Aujourd’hui que la déportation est possible, quelle est des deux peines celle qui doit être appliquée à ceux qui subissent en ce moment la détention perpétuelle ? Sera-ce la détention, c’est-à-dire la peine équivalente, mais purement administrative, si nous pouvons nous exprimer ainsi ? Sera-ce la déportation ? Nous n’aurions pas, quant à nous, hésité à voter dans la seconde délibération de la loi que la déportation pouvait être appliquée aux détenus perpétuels. L’assemblée a eu des scrupules à ce sujet, parce qu’en votant cette application, on votait sur des personnes désignées, et que ce n’est pas la mission du législateur d’appliquer ainsi lui-même la loi aux personnes. Ces scrupules, animés par l’éloquence de M. Odilon Barrot, ont engagé l’assemblée, dans la seconde délibération, à décider que la loi nouvelle ne serait pas applicable aux détenus actuels. L’assemblée a maintenu cette décision. Nous ne nous plaignons pas de cette persévérance, et nous ne croyons pas qu’il faille faire de cette persévérance un grief contre M. Barrot et ses amis. C’est une question sans importance : nous aimons la discipline dans les assemblées, mais la discipline des assemblées ne peut pas sans danger arriver à la minutie des consignes.

Reste la répudiation que l’assemblée a faite avant-hier de l’héroïsme du 24 février. Et à ce propos, qui pousse donc M. Crémieux à se faire en toute occasion le représentant de la révolution de février ? Que peut gagner cette révolution à se transfigurer sans cesse dans la personne de M. Crémieux ? M. Crémieux ne peut même pas, d’après son propre aveu, revendiquer la journée tout entière du 24 février. Il n’est entré dans la république qu’à midi ; il sait l’heure exacte de son dévouement. Et que de choses, a faites M. Crémieux le 24 février ! A peine avait-il cousu la royauté dans son linceul, car c’est M. Crémieux, il le dit, qui a enseveli la monarchie, qu’il a couru bien vite accoucher la république, et nous ne sommes pas bien sûrs que, dans sa précipitation, M. Crémieux n’ait pas pris un peu du linceul de la royauté pour en faire les langes de la république ; cela aura porté malheur à l’enfant qu’a reçu ce jour-là dans ses bras M. Crémieux.