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ravir à personne ; des privilèges, à proprement parler, il n’y en a plus, ou, s’il en subsiste quelques restes, ils sont condamnés virtuellement, et chaque jour le courant en emporte un lambeau. L’égalité de droits et l’unité de loi sont des conquêtes faites en commun par le corps entier du tiers-état, bourgeois et ouvriers. Il n’y a plus de principe neuf qu’il s’agisse sérieusement d’introduire dans la société. Il est bien vrai qu’au gré de quelques insensés, pour accomplir l’amélioration populaire, il faudrait inaugurer de prétendus principes, destruction ou affaiblissement de notions sacrées et éternelles telles que la propriété et la famille ; mais ce ne sont pas des principes, ce sont des erreurs grossières, devant la pratique desquelles on reculera toujours, quand bien même ceux qui les préconisent deviendraient pour un instant les maîtres. La clameur du genre humain proteste contre ces extravagances ; sans la propriété et la famille, il n’y a plus rien de possible en faveur de l’ouvrier ; la société en masse rétrograde jusqu’à la barbarie, jusqu’à la vie sauvage. Les principes dont l’ouvrier doit attendre l’amélioration de son sort sont acquis. Il ne peut plus être question que de faire de ces principes souverains, au fur et à mesure du progrès des mœurs, une application toujours plus étendue et plus équitable, où l’ouvrier trouverait son avantage, mais où, par la nature même des choses, ce qu’il obtiendra ne sera pris à personne, si bien que ce sera l’avancement général de la société en même temps que le sien.

Le peuple, dira-t-on, a des prétentions fort exagérées. — Il n’est que trop vrai ; mais il y a des exagérations que je redoute autant que les siennes, ce sont les nôtres. Ce sont celles-ci qui nous feront le plus de tort ; elles contribuent à le rendre de plus en plus outré dans ses erreurs et de plus en plus obstiné. En politique, on succombe pour ses propres fautes et non pour celles de ses adversaires. Soyons modérés dans la véritable acception du mot, si nous voulons qu’on le soit envers nous. Reconnaissons les droits d’autrui, c’est ainsi qu’on obtient le respect pour les siens. Nous possédons plus de lumières que les ouvriers, nous sommes persuadés que nous leur sommes bien supérieurs en sagesse et en patriotisme : de par les événemens, nous sommes mis en demeure d’en administrer la preuve, en faisant, à ce titre, les premiers pas dans la voie de la conciliation ; c’est pour la patrie la voie de salut. Pour les classes qui représentent particulièrement les forces conservatrices de la société, c’est à la fois aussi la voie de l’honneur, celle du devoir et celle de l’intérêt.

Je me résume : les classes ouvrières constituent-elles dans la société une force distincte ? — Oui. — Cette force est-elle imposante ? — Évidemment. — S’ignore-t-elle, ou au contraire a-t-elle pleine conscience d’elle-même ? — Elle est remplie du sentiment de : ses droits, son penchant