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à Jésus-Christ, comment pensez-vous que Sannazar exprime la joie du monde régénéré ? La poésie chrétienne, à l’aide des psaumes de la Bible, avait chanté la joie de la terre qui enfante son Sauveur, image grande et simple, qui tenait de la poésie sans cesser d’être la vérité, puisqu’il a plu au Christ de naître sous la forme mortelle. La poésie de la renaissance ne peut pas se contenter de cette simplicité biblique, et, pour célébrer cette nuit de réparation, elle appelle la Joie, personnage allégorique… « la Joie, dit Sannazar, éternelle habitante des demeures célestes et qui rarement vient visiter la terre, jeune et douce vierge qui ignore les soucis et les larmes et qui chasse les soupirs loin du ciel. Docile à l’ordre du Très Haut, elle paraît devant lui, et il lui ordonne de descendre sur la terre. Alors elle adapte à ses épaules ses ailes légères et appelle ses compagnes de voyage. À sa voix, accourent les chants, les danses, les rires et l’amour honnête, et la Foi et l’Espérance, sœurs chéries qui marchent sur les pas de la Joie. Derrière elle s’avancent l’irréprochable volupté et la grace, et la concorde qui inspire la paix.

Où va tout ce cortége mythologique ? Il va éveiller les bergers qui doivent adorer la crèche. J’aime mieux les anges qui descendent du ciel pour annoncer aux pasteurs la venue du Christ. C’est peut-être aussi une mythologie, mais c’est la mythologie du sujet.

Parlerai-je du Jourdain et des nymphes, ses filles, Glaucé, Callirhoé, Phéruse, Lamprothoé, toutes l’épaule et le sein nus, et la belle Anthis, les cheveux parfumés, toutes gracieuses et jeunes, toutes vêtues de blanc, toutes chaussées de cothurnes de pourpre[1] ? Un fleuve qui a un pareil cortége de nymphes ne peut manquer d’avoir son urne mythologique, et sur cette urne, invention singulière, est gravé, par une sorte de sculpture prophétique, le baptême de Jésus-Christ ; mais le Jourdain contemple, sans en comprendre le sens, ces ciselures merveilleuses, et il faut qu’un autre dieu de la mythologie, le vieux Protée, lui en révèle la signification et lui prédise ce jour dont la gloire l’élèvera au-dessus du Nil aux sept embouchures, au-dessus de l’Indus et du Gange, du Danube aux deux noms, du Tibre enfin et du Pô[2].

Que ces inventions sont petites et mesquines à côté de la scène du baptême du Sauveur ; telle qu’elle est racontée dans les Évangiles ! Là, point

  1. Nuda humero, nudis discinctà veste papillis,
    Ore omnes formosae, albis in vestibus omnes,
    Omnes puniceis evinctae crura cothurnis.

  2. Adveniet, mihi crede, inquit (certissima coelum
    Signa dedit, nec me delusum oracula fallunt),
    Qui te olim Nili supra septemplicis ortus,
    Supra Indum et Gangem, fontemque binominis Istri
    Attollet famà, qui te Tyberique, Padoque
    Praeferet, atque tuos astris arquabit honores.