faiblesses et des vanités humaines que doit professer un apôtre du socialisme. Qui sait pourtant ? Les blessures de la vanité sont vindicatives, et personne ne le prouve mieux que Daniel Stern. En nous parlant, dans son préambule, des signes précurseurs qui annoncèrent ou préparèrent la révolution de février, elle énumère avec une complaisance perfide ces événemens déplorables, qui, pendant les derniers temps de la monarchie, semèrent dans les salons la stupeur et l’effroi, et contribuèrent, ajoute-t-elle, « à la déconsidération des classes élevées. » Elle a soin de n’omettre aucun fait, de ne taire aucun nom, et, quand elle a bien tout cité et tout nommé, « qu’on m’épargne, s’écrie-t-elle, la triste énumération de ces hontes aristocratiques ! » Nous nous trompons ; Daniel Stern n’a pas complété cette énumération qui paraît lui être si pénible. Dans cette nomenclature où elle a fait figurer tous ceux qui ont eu le malheur de compromettre, par un acte insensé ou criminel, ces classes élevées dont le discrédit lui inspire une si honorable sollicitude, elle a oublié la patricienne douée de toutes les distinctions de la fortune et du monde, née pour être l’ornement d’une civilisation que tant de dangers menacent, que tant de haines calomnient, et se faisant la complice de ces dangers et de ces haines, reniant son sexe et son rang pour mieux froisser les devoirs de l’un et les intérêts de l’autre, et cessant d’être une femme d’élite pour devenir un sectaire et un démagogue.
Lorsqu’on voit à quels abîmes conduit l’oubli des lois positives, des règles certaines où s’abrite la conscience et le sentiment du devoir, on n’accueille plus qu’avec précaution et méfiance tout ce qui porte l’empreinte de ces théories vagues, indéterminées, où un spiritualisme superbe, mais stérile, remplace les contours arrêtés d’une religion et d’une foi. C’est là l’impression que nous avons éprouvée en lisant un roman tout nouveau, dont l’auteur nous est inconnu, et qui est intitulé Jeanne de Vaudreuil. Nous croyons ne pas nous tromper en attribuant ce livre à une femme. Tout, dans le plan comme dans l’exécution, trahit l’inexpérience, l’absence de métier littéraire poussée jusqu’au dédain ou à l’ignorance des plus simples notions du style, de l’arrangement et du récit, et cependant Jeanne de Vaudreuil n’est pas, selon nous, une œuvre vulgaire. À côté de pages mal écrites que l’on dirait pensées dans une langue étrangère ou au moins genevoise, on rencontre des passages où la finesse des aperçus révèle une observation pénétrante et une main délicate. Jeanne de Vaudreuil a d’ailleurs, à nos yeux, le grand mérite d’appartenir à cette classe de romans où l’analyse psychologique et l’étude du cœur humain sont substituées à ce talent vulgaire qui sollicite la curiosité par l’habile entassement des catastrophes et des péripéties. Il y a très peu d’événemens dans ces pages, où nous voudrions qu’il y eût aussi un peu moins de métaphysique et de dogmatisme. Jeanne, l’héroïne du livre, est une femme d’un noble cœur et d’un esprit éminent, dont l’esprit et le cœur n’ont pas cru déroger en se soumettant au joug austère de la foi et de la pratique religieuses. Elle se rencontre, dans ce milieu de piété et de traditions chevaleresques, avec le marquis de Vaudreuil. Ils s’aiment, et leur amour n’est, pour ainsi dire, que le rayonnement de ces belles croyances qui rendent leur union plus pure, plus enthousiaste et plus intime. Par malheur, M. de Vaudreuil touche à l’arche sainte ; il veut se rendre compte de ce qu’il croit : il aborde de front et d’un regard téméraire ces questions redoutables que les esprits les plus fermes n’effleurent jamais sans ébranlement