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qui peuvent pervertir l’idée religieuse, il n’en est pas de plus étouffante, à coup sûr ; que les niaises superstitions du panthéisme, et il ne sert de rien qu’il répète l’enseignement de Jésus, s’il est persuadé en même temps que le genre humain est Dieu. Dans un de ses discours aux paysans de la Souabe, M. Strauss, ayant à s’expliquer sur la lutte des intérêts religieux et des intérêts terrestres, jette brièvement ces paroles : « Cette distinction des choses religieuses et des choses terrestres, pourquoi vous le cacherais-je ? elle me déplaît absolument. S’occuper des intérêts du monde, c’est s’occuper tout ensemble des intérêts de l’ame, et celui qui se conduit bien sur la terre est le véritable habitant du ciel. Laissons cela, du reste (doch dies beiseite)… » Mais nous, nous ne voulons pas laisser cela, nous insistons, et s’il n’y a pas une autre vie au-delà de cette vie de misère, s’il n’y a pas au-dessus de nous une Providence, c’est-à-dire un père plein d’amour, un témoin toujours présent et un infaillible juge de nos actions, nous demanderons à M. Strauss, comme ses compatriotes de Steinheim, s’il ne détruit pas de fond en comble cette religion qu’il prétend seulement débarrasser de ses légendes. M. Strauss est trop sincère, il a un amour trop passionné du vrai pour se permettre la moindre équivoque sur cette question. Entre la morale du Christ et les doctrines de la jeune école hégélienne, il faut qu’il choisisse. Or, j’en suis bien sûr, et j’en ai pour garant la stoïque franchise de son caractère, M. Strauss ne se laissera pas intimider dans la voie nouvelle où il entre par les souvenirs de ses premiers travaux ou par les menaces de la démagogie hégélienne ; il cherchera résolument la solution du problème, et, si ses prochains travaux répondent aux espérances qu’il nous fait concevoir, nous verrons un jouir ce ferme esprit, dégagé des liens d’une école fatale, proclamer avec force les grandes croyances du genre humain, l’existence de Dieu et l’immortalité de l’ame.

Tandis que les chefs du panthéisme se taisent avec MM. Feuerbach et Stirner, ou s’amendent avec M. Strauss, les représentans secondaires de ces funestes doctrines semblent redoubler d’activité pour s’emparer du commandement. On sait avec quelle violence M. Arnold Ruge se faisait le chef des aventuriers et des athées au parlement de Francfort au moment même où M. Strauss quittait avec éclat son siège à la chambre des députés du Würtemberg, pour maintenir l’indépendance de sa pensée en face des exigences despotiques de la démocratie. Auprès de M. Ruge siégeait M. Charles Nauwerck ; M. Vogt était le grand orateur de l’athéisme, et, pendant que l’école hégélienne déployait son drapeau à l’église Saint-Paul, un de ses principaux écrivains, le maître de M. Proudhon, M. Charles Grün, entretenait l’agitation à l’extrême gauche de l’assemblée de Berlin. M. Nauwerck et M. Grün, tout occupés qu’ils étaient à Francfort et à Berlin des grands intérêts de la démagogie,