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de la légion académique ou pour les chefs d’une répression sans pitié ? pour les assassins du comte Latour ou pour les juges de Robert Blum ? M. Bauernfeld détourne les yeux ; il ne veut rien voir qui puisse troubler le paisible enjouement de son art. Étranger aux tragiques événemens de la ville, il ne s’occupera que des changemens survenus dans les esprits, et il y trouvera matière aux plus piquantes satires. La première comédie est intitulée le Majeur. Le jeune baron Hermann, orphelin et possesseur d’une fortune considérable, est sur le point d’atteindre à sa majorité. Son tuteur, M. Blasse, vieillard cupide et entêté, voit arriver avec désespoir l’heure où il faudra remettre au jeune homme émancipé l’administration de ses domaines. Hermann, on l’a deviné déjà, c’est le peuple autrichien, et maître Blasse représente le statu quo de l’ancien régime. L’adversaire du tuteur est un vieil ami de la maison, M. Schmerl, qui ne parle que de réformes, de problèmes sociaux, de progrès indéfini, dans le style le plus étrange du monde. Le représentant de l’opposition n’est pas mieux traité que le défenseur têtu de l’immobilité. La seconde comédie de M. Bauernfeld s’appelle l’Homme nouveau ; c’est la suite et la conclusion de la première. Hermann revient ; il a parcouru l’Europe, il a vu l’Italie et la France, et il est tristement désabusé. Il ne regrette pas sans doute ses longues années d’engourdissement, il ne maudit pas, l’heure qui a éveillé son esprit et émancipé sa volonté ; Hermann ne veut pas redevenir mineur. Seulement, il a profité de l’expérience des révolutions, et il conclut que c’est folie de vouloir créer en soi un homme entièrement nouveau.

Ce n’est pas la seule inspiration que M. Bauernfeld ait due à la révolution de février ; il nous a donné encore un drame fantastique, intitulé la République des animaux, qui semble un appendice, une branche du Roman du renard. Je ne sais si l’on approuvera le cadre choisi par l’auteur ; dans des temps où la parole humaine s’accorde des libertés inouïes en des polémiques où l’attaque ne procède que par l’outrage et la malédiction, il semble étrange que la réponse se dérobe timidement sous les voiles de l’allégorie. Le Roman du renard, si bien à sa place dans le monde féodal, est un bizarre anachronisme au milieu de nos luttes et de nos violences. L’auteur a-t-il voulu dire, par hasard, que les seigneurs de la démagogie forment aussi une féodalité despotique, et que, pour oser persifler ces hauts-barons, il faut recourir aux ruses littéraires du moyen-âge ? Soit ! admettons l’excuse et parlons de l’ouvrage. On y trouve les qualités habituelles de M. Bauernfeld, de la finesse, de la gaieté, un dialogue rapide et élégant. Quant à l’invention, elle y est faible ; le poète a emprunté ses traits les plus vifs à la réalité, et la réalité, comme on pense, est bien autrement tragique que le drame du spirituel écrivain.

Avant la révolution de 1848, M. Bauernfeld n’était guère qu’un