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d’entre eux cependant n’a essayé d’observer directement ce phénomène extraordinaire, d’en étudier les conséquences et de les peindre. Le conteur de l’aristocratie, M. le baron Adolphe de Sternberg, a publié l’année dernière un roman composé avant 1848, un roman de mœurs politiques auquel la révolution est venue fournir le dénoûment qu’il souhaitait. Dans ce livre, intitulé les Deux Chasseurs, M. de Sternberg fait un réquisitoire violent et injuste contre la société prussienne de 1847. Ces généreuses pensées qui s’agitent, ce grand mouvement qui arrache peu à peu à Frédéric-Guillaume IV les libertés depuis si long-temps promises, ce progrès intelligent d’un peuple qui s’empare enfin de la vie publique, tout cela n’est pour M. de Sternberg que corruption des esprits, insolence de parvenus, ambitions et cupidités vulgaires. M. de Sternberg appartient à une école qui compte de nombreux disciples par tout pays, l’école de la fatuité. Ce chroniqueur des salons, ce professeur de dandysme pour qui la vie blasée était le suprême idéal du bon goût, est devenu subitement le prédicateur de l’absolutisme. Il ressemblait jadis à l’auteur de Mathilde ; il avait les mêmes prétentions mondaines, les mêmes afféteries puériles et il semblait, en vérité, que la société polie ne pût exister sans les fanfreluches de ces messieurs. Hélas ! les salons ont perdu M. de Sternberg et M. Eugène Sue. M. de Sternberg a interrompu ses leçons de dilettantisme pour enseigner la philosophie de M. de Maistre, tout comme M. Sue a renoncé à ses ducs et à ses duchesses pour mettre le fouriérisme en romans. Après avoir insulté le parti constitutionnel, M. de Sternberg conclut ainsi avec une autorité magistrale : « La monarchie absolue, qui va renaître bientôt du sein de nos batailles, ne peut faire autrement que d’assurer le bonheur du peuple, car elle nous rendra, dans sa forme purifiée, le système de gouvernement le plus énergique et le plus convenable au milieu des secousses de l’Europe. Les fantômes qui se lèvent aujourd’hui, république, monarchie constitutionnelle, ce sont tous des enfans de la révolution, incapables par conséquent de lui résister jamais. Ils appartiennent à la période révolutionnaire et disparaîtront avec elle. La monarchie absolue est le seul frein assez fort pour contenir une société que mille instincts, mille directions fatales poussent à se dévorer elle-même. » Cette sentence arrive vraiment très à propos pour clore les aventures galantes dont M. de Sternberg est le minutieux chroniqueur. Les œuvres de M. de Sternberg étaient-elles moins recherchées depuis quelque temps ? La société de Berlin, occupée des débats de la politique, voyait-elle diminuer de jour en jour l’auditoire de ce conteur efféminé ? Il y a lieu de le croire, et voilà pourquoi, j’imagine, cet élégant diseur de riens a tout à coup accompli sur lui-même sa petite révolution. Quoi qu’il en soit, le parti constitutionnel doit se tenir pour averti ; il avait jusqu’à présent d’assez graves dangers à redouter, les