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hommes… » La démocratie a un caractère de réalité familière au-delà des Pyrénées ; elle est dans ce sentiment d’égalité morale qui circule dans l’atmosphère, relie les hommes et les classes en s’harmonisant avec la hiérarchie sociale, élève le niveau commun et est comme la force secrète et conservatrice de cette mystérieuse vie espagnole. Le pays où le goût des distinctions et des hiérarchies a reçu le moins d’atteintes peut-être est aussi le pays où les hommes se sentent le plus naturellement égaux. Allez dans les provinces basques, vous trouverez la démocratie la plus effective, la plus réelle et la plus élevée aussi, puisqu’elle résulte d’une noblesse commune, attachée en quelque sorte au sol natal ; allez dans l’Andalousie, vous trouverez cette démocratie pratique dont parle le solitaire, et qui fait qu’Espagnols de tout rang, de toute classe, se mêlent et se confondent sous l’impulsion de certains goûts nationaux, de certaines ardeurs, dans la jouissance de certains plaisirs. Le trait le plus saillant peut-être en Espagne, c’est cette absence d’hostilité entre les classes rapprochées par tous les instincts de leur nature, par leurs qualités et par leurs vices mêmes, séparées seulement par les hasards secondaires de position et de fortune. L’Espagnol ne hait point la noblesse ; il en a toutes les fiertés, au contraire. Il sent gronder en lui bien des passions de guerres civiles, non ces besoins de vengeance qui sont comme le levain aigri des démocraties, et qui se traduisent en immolations révolutionnaires ou en guerres sociales. Il peut se retrouver dans cette nature de ces naïvetés de barbarie comme il s’en dégage parfois des natures restées primitives à beaucoup d’égards ; de toutes les corruptions, celle qui peut le moins y trouver place et s’y enraciner, c’est la corruption démagogique, parce que dans son essence, qui est la haine de tout ce qui est élevé, elle viole le tempérament espagnol lui-même ; elle le viole dans ses instincts traditionnels, dans ses tendances et jusque dans ses goûts invincibles de poétiques et aristocratiques jouissances.

Les esquisses de M. Serafin Calderon seraient sans intérêt, si elles ne reflétaient quelque chose de cette nature espagnole, si elles ne la reproduisaient, non sans doute dans ce qu’elle a de plus puissant et de plus sérieux, mais dans son mouvement intime, dans ses nuances familières, dans quelques-uns de ces détails de mœurs qui font penser souvent et à la lumière desquels, en quelque sorte, on aperçoit le type des races. L’auteur des Scènes madrilègnes a un sentiment très vif, je le disais, des ridicules de cette société partagée entre ses besoins de transformation et l’amour de sa propre originalité ; le solitaire a plutôt le sentiment du pittoresque national, qu’il va ressaisir dans cette brûlante, poétique et libre Andalousie d’un relief si vivant, et où une nature physique pétrie à tous les feux du midi sert de cadre à un des caractères populaires les plus curieux, les plus expressifs, les plus animés. L’Andalousie est un pays original, même à côté du reste de l’Espagne,