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des vices secrets, bien des puérilités fastueuses, des levains aigris, des goûts pernicieux, des passions rebelles. S’il fallait les montrer dans leur déchaînement, dans leur éclat excessif, je vous transporterais dans l’Amérique du Sud, où ces élémens de l’anarchie espagnole, en changeant d’hémisphère, ont trouvé un champ sans limites ; mais qu’on réfléchisse un instant : ces vices caractéristiques se retrouvent à côté de qualités profondément nationales aussi et restées singulièrement vivantes. Quel correctif efficace pourra agir sur eux dans ces conditions ? Sera-ce quelqu’un de ces spécifiques abstraits qui s’appliquent indifféremment à un peuple ou à un autre peuple, parce qu’ils ne s’appliquent à aucun, ou qui, en atteignant peut-être les vices, atteignent plus sûrement encore les qualités elles-mêmes et corrompent l’essence d’une nationalité ? C’est à ce point de vue que l’observation des mœurs, la connaissance de la vie réelle d’un pays a un intérêt supérieur, non-seulement pour l’écrivain qui y cherche un pur attrait d’imagination, mais pour l’homme d’état lui-même. La vraie et féconde politique, en effet, n’est-elle point celle qui résume fidèlement les instincts traditionnels d’un peuple, laisse intacte son originalité, s’harmonise avec ses tendances propres même dans les innovations nécessaires, et s’élance en quelque sorte vivante et armée du sein de la réalité nationale ? Un jour, dans le congrès de Madrid, un orateur éloquent s’inspirait, avec une rare puissance, de cette réalité, et puisait dans l’observation du caractère espagnol le conseil d’une politique propre à ramener avec éclat la péninsule sur la scène de la civilisation générale. Il démontrait la difficulté immense, sinon l’impossibilité, de la civilisation de l’Afrique par la France, en raison des différences radicales qui existent entre les races et empêchent que l’une ne puisse agir efficacement sur l’autre, — et il faisait éclater en même temps l’utilité, la nécessité de la coopération à cette œuvre de l’Espagne, comme étant l’intermédiaire naturel entre les deux mondes. « Entre la civilisation française, disait-il, et la civilisation africaine, il n’y a aucun point de contact et il y a toutes les solutions de continuité possibles : il y a la solution de continuité géographique, parce qu’entre la France et l’Afrique est l’Espagne ; il y a la solution physique, parce que le soleil espagnol tient le milieu entre le soleil français et le soleil africain ; il y a celle du caractère moral, parce qu’entre les mœurs raffinées et cultivées de la France et les mœurs barbares et primitives de l’Afrique il y a les mœurs espagnoles, à la fois primitives et cultivées ; il y a la solution de continuité militaire, parce qu’entre le général français et le chef arabe se trouve cette autre espèce de chef qui sert de transition de l’un à l’autre, le guerillero ; il y a. enfin la solution de continuité religieuse, parce qu’entre le mahométisme fataliste africain et le catholicisme philosophique français est le catholicisme espagnol avec ses tendances fatalistes et ses reflets orientaux. »