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j’aime mieux Othello, Roméo et Juliette, dont l’action embrasse un espace plus resserré et concentre plus sûrement l’attention. Je crois donc qu’il faut choisir dans la vie de Toussaint Louverture le moment de sa suprême puissance, c’est-à-dire l’époque du consulat. À ne consulter que la curiosité, qui trop souvent de nos jours domine les œuvres qu’on appelle dramatiques je ne sais trop pourquoi, on pourrait se laisser tenter par les premières années de Toussaint, et vouloir nous le montrer dans l’esclavage, puis soldat dans les rangs de l’armée espagnole. Pour ma part, je ne crois pas que le goût puisse avouer une pareille tentative. Le poète fût-il sûr de trouver pour ces tableaux des couleurs vives et variées, nous aurions encore le droit de le gourmander, car la biographie ne peut être confondue avec la poésie. Toutes les ruses employées par Toussaint pour établir, pour assurer sa puissance, sont des traits de caractère qu’il ne faut pas négliger, qui servent à dessiner sa physionomie. Ce n’est pas une raison pour se croire obligé de mettre sous nos yeux toutes les supercheries qu’il s’est permises, toutes les embûches qui lui ont livré ses ennemis, tous les actes de duplicité dont il s’est glorifié. Depuis le général Hermona jusqu’au colonel Maitland, il a trompé, comme en se jouant, tous ceux qu’il a voulu tromper ; que le poète se souvienne de tous ces mensonges, de toutes ces trahisons, sans tenir à nous montrer qu’il les connaît. Qu’il se contente d’emprunter à la vie entière du personnage tout ce qui peut expliquer son caractère. Que ses études prennent place dans la trame de l’action, sans ostentation, sans jactance. Et si la curiosité y perd quelque chose, le bon sens y gagnera.

Y a-t-il dans le moment que je propose de quoi défrayer les cinq actes d’un poème dramatique ? Est-il possible de tirer deux mille vers de la lutte engagée entre Toussaint et le général Leclerc sans recourir à aucun épisode parasite ? Je le crois fermement, et je n’ai pas besoin d’ajouter que sous le nom d’épisode parasite je ne comprends pas le combat de l’ambition et de l’amour paternel, car ce combat forme une partie essentielle de l’action. Je voudrais voir d’abord Toussaint dans tout l’éclat de sa puissance, au milieu de sa cour, inquiet et pourtant s’applaudissant de la résolution qu’il a prise. Pour demeurer fidèle à la vérité historique, il ne faudrait pas nous montrer le dictateur entouré seulement d’une cour africaine ; les blancs et les blanches devraient avoir leur place dans le palais du maître. Qu’importe que l’orgueil européen soit blessé d’un tel mélange ? C’est une nécessité du sujet qu’il faut accepter. Vers la fin d’une fête, aux premiers rayons du soleil, on signalerait l’approche de l’escadre française, et Toussaint, rassemblant à la hâte ses lieutenans, son état-major, dicterait les réponses à faire aux sommations du général français. Il faut que le spectateur voie Dessalines,