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la puissance du consulat, Bonaparte n’est pas un blanc, mais un homme d’une intelligence supérieure, d’une volonté inébranlable, d’une sagacité rare, fait pour le commandement. Si l’amour filial le détache de la France qui l’avait adopté, il ne peut effacer en lui les souvenirs de son éducation. Isaac, malgré sa jeunesse, a trop de bon sens et de lumières pour voir dans Bonaparte l’ennemi des noirs. S’il embrasse le parti de son père, il faut qu’il l’embrasse par dévouement, qu’il connaisse le danger, l’inutilité de la résistance, et ne se décide pas comme un nègre ignorant ; qu’il consulte son cœur et non la haine de la couleur blanche.

Le retour du moine qui vient réchauffer la colère de Toussaint à l’heure du dernier combat ne me paraît pas une heureuse invention. Cette nouvelle déclamation sur la sainteté de la cause des noirs, loin d’agrandir la figure du chef africain, fait de lui un instrument plutôt qu’un acteur, c’est-à-dire que l’auteur va directement contre sa pensée. Qu’Adrienne, en voyant partir Albert, s’abandonne au désespoir, chacun de nous le comprend. Personne ne comprendra que Toussaint lui confie le drapeau noir, signal d’une défense désespérée. Le vieux chef ne peut sans cruauté désigner sa nièce aux balles françaises. C’est une conception inacceptable et contre laquelle proteste le bon sens de l’auditoire. Adrienne tombe frappée mortellement : dénouement qui ne dénoue rien, car, si le spectateur pressent l’issue de la lutte, le poète ne conclut pas.

Que le lecteur compare au drame de M. de Lamartine l’histoire que j’ai rapidement esquissée, qu’il rapproche la réalité du poème, et qu’il décide lui-même de quel côté se trouvent l’intérêt, la grandeur, l’émotion. J’en ai dit assez pour que chacun devine ma pensée. En la formulant, je n’apprendrais rien à personne.

Reste la question de style. J’ai entendu louer le style de Toussaint Louverture. Je veux croire que ces louanges n’étaient pas sérieuses. S’agit-il de rendre hommage au génie de M. de Lamartine ? Je suis prêt à proclamer bien haut mon admiration pour les Méditations, pour les Harmonies, pour Jocelyn ; je ne puis admirer ni la composition ni le style de Toussaint Louverture. Si le style des Méditations n’est pas toujours d’une irréprochable pureté, du moins il est marqué au coin de la spontanéité. L’image naît de la pensée, la pensée appelle l’image et n’est jamais appelée par elle. Si le style des Harmonies n’a pas toujours toute la précision, toute la transparence que le goût peut désirer, du moins la profusion et parfois la confusion des similitudes s’explique par l’abondance même des sentimens qui remplissent l’ame du poète. Si Jocelyn est plutôt une admirable ébauche qu’un tableau achevé, si les pensées ne sont pas toujours ordonnées avec toute la clarté désirable, du moins dans le style de Jocelyn rien n’accuse l’effort ; les couleurs