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— J’avais prévu votre douleur, lui dit la supérieure, notre sœur Marthe-Marie ne veut pas vous suivre.

Guillaume leva sur la religieuse son regard désolé.

— Hélas ! hélas ! dit-il, cette enfant que j’ai tant aimée m’a revu sans joie et m’abandonna sans regret !

— Écoutez, mon fils, reprit la supérieure, écoutez. Il y a cinq ans panés, on a amené une jeune fille au désespoir, pleine d’agitation et de trouble ; elle a cru descendre dans sa tombe en entrant au couvent. Pendant une année entière, nul n’a vu son visage sans y voir des pleurs. Dieu seul sait le nombre des larmes que les yeux doivent verser avant qu’une ame brisée revienne au calme et à la résignation, les hommes ne sauraient les compter. Cette jeune fille a beaucoup souffert ; nous avons vainement demandé grâce pour elle, nous avons vainement appelé sa famille à son secours. Elle pouvait dire, comme il est écrit dans le psaume : Je me lasse à force de gémir et de soupirer ; mes yeux sont ternis de tristesse !… Que pouvions-nous faire, si ce n’est de prier pour elle, puisque personne en ce monde ne voulait reprendre cette pauvre entant ?…

— Hélas ! s’écria Guillaume, vos lettres ne nous sont pas parvenues. Mon frère était au-delà des mers, et moi, n’ayant alors nulle espérance de faire changer les décisions de Karl, j’avais quitté sa maison vide et triste.

— Les hommes abandonnaient cette enfant, reprit la supérieure ; mais Dieu a regardé sa servante, il a consolé son ame. S’il ne rend pas la force à son corps épuisé par la souffrance… que sa volonté soit faite ! Peut-être serait-il sage, serait-il généreux de laisser maintenant à cette jeune fille l’amour de Dieu qui lui est venu après tant de larmes ; peut-être serait-il prudent de lui épargner de nouvelles secousses….

— Non, non ! s’écria Guillaume, je ne puis donner à Dieu sans murmurer ce dernier débris de ma famille, l’appui de ma vieillesse ; je veux tout tenter pour ramener non cœur à ses premiers sentiment. Rendez-moi Christine quelques jours seulement… Laissez-moi lui faire revoir les lieux où elle a aimé… Mes prières ne sauraient la persuader, mais un ordre de vous la fera obéir ; dites-lui de rentrer quelques instans sous le toit de son père. Si elle le veut encore, après cette dernière épreuve, eh bien ! je vous la rendrai.

— Emmenez la sœur Marthe-Marie avec vous, mon fils, répondit la supérieure. Je vais lui dire de vous suivre. Si Dieu a vraiment parlé à son ame, toutes les voix de ce monde n’arriveront pas jusqu’à elle ; s’il en est autrement, qu’elle ne revienne pas au cloître, et qu’elle soit bénie partout où elle ira ! Adieu, que la paix du Seigneur soit avec vous, mon fils !

Et la supérieure s’éloigna.