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Le grand fait, le fait imprévu alors, qui domine tout le règne de Louis XIV, c’est que, dans ce règne, dernier terme du mouvement de la France vers l’unité monarchique, on vit le pouvoir absolu exercé personnellement par le roi tomber, pour la satisfaction des vrais intérêts nationaux, au-dessous de ce qu’avait été précédemment le même pouvoir délégué à un premier ministre. Richelieu, et après lui Mazarin, gouvernant comme s’ils eussent été dictateurs d’une république, avaient, pour ainsi dire, éteint leur personnalité dans l’idée et le service de l’état. Ne possédant que l’autorité de fait, ils s’étaient conduits tous les deux en mandataires responsables envers le souverain et devant la conscience du pays, tandis que Louis XIV, réunissant le fait et le droit, se crut exempt de toute règle extérieure à lui-même, et n’admit pour ses actes de responsabilité que devant sa propre conscience. Ce fut cette conviction de sa toute-puissance, conviction naïve et sincère, excluant les scrupules et les remords, qui lui fit renverser coup sur coup le double système fondé par Henri IV, au dedans pour la liberté de religion, au dehors pour la prépondérance nationale assise sur une tutelle généreuse de l’indépendance des états et de la civilisation européenne.

À l’avènement personnel de Louis XIV, il y avait plus de cinquante ans que la politique française suivait son œuvre en Europe, impartiale devant les diverses communions chrétiennes, les différentes formes de gouvernement et les révolutions intérieures des états. Quoique la France fût catholique et monarchique, ses alliances étaient, en premier lieu, les états protestans d’Allemagne et la Hollande républicaine ; elle avait même fait amitié avec l’Angleterre régicide[1]. Aucun intérêt autre que celui du développement bien compris de la puissance nationale ne pesait dans les conseils et ne dirigeait l’action extérieure du gouvernement ; mais avec Louis XIV tout changea, et des intérêts spéciaux, nés de la personnalité royale, du principe de la monarchie héréditaire ou de celui de la religion de l’état, entrèrent en balance,

  1. Voyez, dans le Corps diplomatique de Dumont, t. VI, 2e partie, page 121, le traité de paix et de commerce entre l’Angleterre et la France, signé le 3 novembre 1655. Un article secret de ce traité stipulait, d’une part, l’interdiction aux Stuarts et à leurs principaux adhérens de séjourner en France, de l’autre le renvoi des agens de Condé, alors ennemi de son pays, hors du territoire britannique.