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oui, il est plein de courage, il se jette tête baissée dans le danger ; il suffit pour cela que ses nerfs soient agacés, que la passion l’anime, de même que celui qui est en proie à un accès de fièvre se jette par la fenêtre avec un élan que n’égaleront jamais les plus courageux des hommes.

Ah ! oui, ce qui manque à ce peuple, ce ne sont pas les dons de l’esprit, c’est la connaissance de la sévère réalité. Il a des dons précieux et aimables, la sociabilité, l’amour de la justice ; eh bien ! ces dons mêmes ne lui servent que de dissolvans, car ses qualités, il ne les met jamais en accord avec cette réalité qui peut seule les rendre fécondes. Le peuple français est, je le veux bien, un peuple charmant, tout de mouvement et de grace ; mais il manque de point d’appui et de résistance. Cette sociabilité même le perd ; malheur, aux peuples qui sont trop sociables ! En France, chacun vit, beaucoup plus de la vie de son voisin que de sa vie individuelle. On attribue généralement la démocratie à un sentiment d’envie. Eh bien ! en France, la démocratie ne provient guère que d’un excès de sociabilité. Ce n’est pas la basse envie qui anime le français, mais le désir de vivre de la même vie, que celui qui est à un degré supérieur de l’échelle sociale. Il en résulte une émulation terrible, une course au clocher, une poursuite incessante des avantages de la société et du rang. Cette sociabilité nouvelle, appliquée à la politique, est une chose funeste, et dont la France sent, aujourd’hui les conséquences. Que les Français retournent cette ancienne sociabilité qui facilite les relations et enveloppe les mœurs dans la grace et la douceur. Ils ont bien besoin d’y revenir, car, cette émulation dans la poursuite de la richesse et du bonheur a rempli de haine leurs relations et aigri leurs mœurs. Cette poursuite du comfort, de la richesse, a fait de nous un peuple puissant ; elle a changé au contraire les mœurs françaises et a fait de nos voisins un peuple divisé et déchiré par les guerres intestines. — Oh ! l’Anglais, comme dit Swift, l’Anglais est un animal politique ; il vit de ce qui tue inévitablement les autres peuples !

Notre humoriste est sévère, très sévère. On voit bien, hélas ! qu’il n’est obligé à aucuns ménagemens. Il fait sa tâche d’observateur sans qu’aucune anxiété patriotique vienne le troubler, sans qu’un sentiment d’attendrissement fasse battre son cœur. Il peut être, à son gré, dur et sans pitié ; il n’a pas besoin de faire des réticences pour ménager l’amour-propre de ceux dont il observe les allures et les mœurs ; mais nous, nous avons besoin de nous tromper nous-mêmes, nous sommes tenus, pour ainsi dire, de trier dans nos haines et dans nos ressentimens, afin d’y glaner encore quelques affections. Nous ne pouvons contempler d’un œil sec les douleurs de la patrie ; en dépit de tous nos mécomptes, la vieille France est toujours dans notre cœur avec son vieil honneur et son patriotisme bourgeois. Nous sommes obligés à trop d’indulgence peut-être envers nous-mêmes ; notre nature de Français nous en fait un devoir, et nous y porte par la pente seule des sentimens et de l’affection. Un étranger n’est tenu à aucune indulgence, et par cela même ne peut-il pas tomber dans un excès de sévérité ? A propos des gens de lettres, par exemple, nous le trouvons bien acerbe ; il a bien soin de dire, il est vrai, qu’il ne comprend pas dans cette catégorie tous les hommes éminens qui honorent notre pays, il ne comprend