Page:Revue des Deux Mondes - 1850 - tome 6.djvu/573

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette union n’est pas heureuse, et dure peu ; on trouve un jour, le comte assassiné sur la route de Toulouse. Toutes les recherches pour découvrir son meurtrier sont inutiles ; la seule pièce de conviction qu’on puisse recueillir, c’est la pointe de l’épée qui l’a frappé, et qui est restée dans sa blessure. Mme de Mondonville est encore dans tout l’éclat de la jeunesse et de la beauté ; mais, dans l’intervalle, M. de Ciron, le seul homme qui fût digne de sa tendresse, est entré dans les ordres ; d’ailleurs le désir le plus vif, l’ambition la plus persévérante de la belle veuve, c’est de commander. Elle entreprend donc de créer une nouvelle œuvre religieuse qui s’appelle la maison des Filles de l’Enfance : dans cette maison, qui tient le milieu entre les élégances mondaines et les austérités du cloître, elle s’arroge une puissance souveraine ; chaque article de ses constitutions est calculé pour affranchir son pouvoir de toute restriction et de tout contrôle. Comment faire adopter ces constitutions d’une orthodoxie un peu douteuse ? Mme de Mondonville déploie, pour y parvenir, toutes les ressources d’une haute intelligence et d’une volonté inébranlable. M. de Ciron, devenu grand-vicaire du diocèse de Toulouse, et obéissant, malgré lui, à l’irrésistible empire de la femme qu’il a aimée, se fait son intermédiaire auprès des pouvoirs ecclésiastiques elle va, en personne, à Versailles, où sa beauté lui gagne tous les cœurs, et où elle balance un moment la splendeur naissante de Mme de Montespan ; le grand roi lui accorde sa demande, et elle repart fondatrice et supérieure des Filles de l’Enfance.

Par malheur, la conscience et le cœur de Jeanne appartiennent en secret à Port-Royal : le grand. Arnauld l’a fascinée de son éloquence, de sa conviction et de son génie. Voilà l’influence fatale secondée par la haine du marquis de Saint-Gilles, et contre laquelle échouera toute l’énergie, toute l’habileté de Mme de Mondonville. En vain s’attire-t-elle l’admiration et l’amour de la ville entière par l’abnégation héroïque qui la fait entrer, au milieu d’une population tremblante, dans une maison pestiférée, où elle sauve une jeune fille, Marie d’Hortis, nièce du marquis de Saint-Gilles ; en vain exerce-t-elle sur ses compagnes, ou plutôt ses sujettes, une influence qui suffit à ramener au bercail Guillemette de Prohenque, une de ses pensionnaires, devenue un moment son ennemie, et sortie furtivement du couvent ; en vain, dans une lutte terrible qu’elle soutient contre M. de Saint-Gilles, accouru pour lui enlever sa nièce Marie, trouve-t-elle moyen de se saisir de son épée, et de constater que la pointe en est brisée, détail accablant qui prouve que le marquis est l’assassin de M. de Mondonville ; en vain réussit-elle à déjouer toutes ses manœuvres, à démasquer une intrigante, Mlle de Verduron, qui, sous prétexte de pénitence, s’est introduite, par ordre de M. de Saint-Gilles, dans la maison des Filles de l’Enfance : Jeanne succombe dans cette lutte inégale ; elle subit le contre-coup des persécutions dont Port-Royal est l’objet, et elle finit par être enfermée dans le couvent des Filles hospitalières de Coutances.

On le voit, bien qu’il y ait dans la Religieuse de Toulouse des scènes dramatiques et émouvantes, bien que l’intérêt y soit ménagé avec assez d’art pour que l’attention du lecteur ne faiblisse pas un moment, ce livre est moins un roman qu’une monographie, le tableau vif et animé d’un coin du grand siècle, la restauration savante, pittoresque, passionnée d’une figure restée jusqu’ici dans l’ombre, et digne de prendre place dans cette galerie d’hommes et de