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législature dont les pouvoirs expiraient, ce n’était pas assurément que ses chefs entendissent rester en dehors du mouvement révolutionnaire et se désintéresser des affaires publiques ; c’est que ceux-ci savaient fort bien que le centre de la puissance législative était déplacé, qu’il n’était plus dans la salle du Manége, mais dans l’ancien réfectoire des Jacobins. Aussi Robespierre n’exerça-t-il peut-être jamais, même au comité de salut public, une influence plus considérable qu’au moment où, exclu de la législative, il trônait à la tribune des Jacobins, dictant chaque soir à des législateurs sans résolution leurs mesures et leurs décrets du lendemain. C’est dans le journal des débats de cette société bien plus que dans les pages du Moniteur que, durant tout le cours de 1792, l’historien doit étudier et le mouvement de l’esprit public et le cours imprimé aux affaires du pays.

Tel était donc le terme où avait abouti la politique de la constituante, tel était le fruit amer de trois années de faiblesse. Souveraine dominatrice du pays au temps de son avènement, elle le laissait, au jour de sa retraite, aux mains d’ennemis mille fois plus redoutables que les adversaires impuissans qu’elle affectait seuls de redouter. Ce ne fut pas, à coup sûr, l’intelligence qui fit défaut à cette éblouissante réunion d’esprits si riches et si divers, c’est par le cœur qu’elle a manqué à sa mission et à son œuvre. Ce n’est point de ses erreurs théoriques, qu’explique et justifie l’inexpérience du temps, que la postérité lui demande aujourd’hui un compte sévère ; ce n’est pas parce qu’elle a ignoré les lois de l’équilibre des pouvoirs qu’elle est frappée d’une condamnation qui ira s’appesantissant d’âge en âge, à mesure que le jour se fera sur les personnes et sur les choses, et que la moralité rentrera dans la politique. La constituante est coupable parce qu’elle fit reculer ses principes devant ses passions, et parce qu’elle s’est montrée impitoyable devant les faibles lorsqu’elle n’osait pas se montrer résolue devant les forts ; elle est coupable des ruines faites contrairement à ses intentions, car elle a mis les armes à la main des dévastateurs ; elle est coupable du sang versé, car elle a livré aux bourreaux les victimes enchaînées et flétries ; elle est coupable surtout pour avoir engagé contre la conscience humaine une guerre impie, et la justice de Dieu, qui ne se manifesta jamais avec plus de soudaineté et d’éclat, a permis que ses périls sortissent manifestement de ses fautes, et sa ruine de son parjure.