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et une ligne tracée à l’ouest de ce fleuve, à peu près parallèlement à son cours, depuis Sevrihissar jusqu’au littoral septentrional de la mer Noire : cette région ainsi délimitée, qui forme un parallélogramme fort irrégulier dont l’étendue peut être évaluée à environ cinq cents milles géographiques carrés, est le seul domaine où la chèvre dite d’Angora puisse développer toute la richesse de sa toison ; le moindre déplacement occasionne une détérioration plus ou moins prononcée dans la qualité de la laine, et finit par amener une dégénérescence complète. Il est à remarquer que les troupeaux de chèvres qui paissent sur la rive orientale du Kizil-Ermak diffèrent déjà sensiblement de leurs congénères établis sur la rive opposée, et que, même dans le district étroit que la nature semble avoir si inexorablement assigné à ce noble animal, on ne peut transférer une chèvre du village où elle est née à un village voisin sans l’exposer à être atteinte par une espèce de mal du pays. La chèvre d’Angora ne réclame d’ailleurs aucun soin particulier. L’usage de l’eau stagnante, le séjour dans des étables complètement fermées, sont, avec le changement de climat, les seules influences qui lui soient réellement pernicieuses. Dans les hivers très froids, il n’est pas toujours aisé de concilier dans les étables l’aérage nécessaire à ces chèvres avec les soins exigés par la rigueur de la température. Il y a là un problème que les ignorantes populations de l’Asie Mineure n’ont point encore su résoudre, mais qui n’arrêterait pas long-temps l’industrie européenne. Chaque année, à Angora, où le thermomètre centigrade descend quelquefois à 10 ou 15 degrés, on perd un très grand nombre de chèvres, qu’on laisse languir pendant l’hiver dans des étables dépourvues de toute toiture. Quand les pertes deviennent considérables, on les répare en faisant saillir les chèvres d’Angora par des boucs communs, ce qui donne pour résultat direct des chèvres un peu abâtardies, mais dont la race reprend toute sa pureté à la troisième génération. Le district habité par la chèvre d’Angora de pur sang ne contient que de cinq cent à huit cent mille sujets, chiffre comparativement minime, que d’habiles éleveurs décupleraient facilement en peu de temps. La laine magnifique fournie par cet animal pourrait devenir l’objet d’un commerce d’autant plus lucratif, que, soumise aux procédés des manufactures européennes, elle se trouverait aisément élevée au niveau de la célèbre laine de Cachemire, qu’elle remplacerait alors parfaitement. La laine d’Angora aurait même sur la laine de Cachemire l’avantage de pouvoir être livrée à un prix infiniment plus modique, vu les frais de transport bien moins considérables. Or, l’Angleterre et la Hollande ont déjà démontré en petit ce qui, sous ce rapport, pourrait être effectué en grand, puisque tout le fil de laine d’Angora exporté dans ces derniers pays y est employé à la fabrication des tissus qu’on revend ensuite en Europe sous le nom de châles de Cachemire, et qui trouvent même un excellent