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insouciant et frivole de sa population, les traits principaux qui les distinguent. Parcourez la république tout entière, partout vous retrouverez ces rues coupées à angles droits qui laissent entre elles des carrés de maisons égaux et réguliers connus sous le nom de cuadras ; partout vous retrouverez cette place centrale sur laquelle s’élève d’un côté la cathédrale, et de l’autre, si la ville est une capitale, le palais du gouvernement ; en face, une rangée de maisons à arcades dont des boutiques, des magasins de toute espèce occupent le rez-de-chaussée, et où nos petits commerçans, très nombreux en Amérique, étalent à l’envi les riches étoffes et les brillans tissus de la France.

Lima nous offre sur une grande échelle cette disposition particulière à l’Amérique espagnole. Bâtie sur le bord d’une rivière, — torrent à l’époque de la fonte des neiges et ravin pendant l’hiver, — la capitale du Pérou fut fondée par Pizarre le 6 janvier 1545, jour de l’Épiphanie, d’où lui est venu le nom qu’on lui donne encore quelquefois de la Ville des Rois. Son origine espagnole est vivement accusée par l’architecture même de ses maisons, vastes, aérées, souvent ornées à l’extérieur de peintures à fresque qui leur donnent un cachet particulier. Construites de façon à résister aux tremblemens de terre si fréquens dans ces contrées, les habitations liméniennes n’ont guère que le rez-de-chaussée. Dans les rares maisons surmontées d’un premier étage, un immense balcon à jalousies vertes décore la façade et avance sur la rue quelquefois de plus d’un mètre. À part ces balcons de style assez pittoresque, les lignes régulières des madras sont partout respectées dans leur sévère uniformité.

Les églises et les couvens tiennent une grande place dans la physionomie extérieure de toutes les villes espagnoles de l’Amérique. À Lima, plusieurs églises ont gardé de nombreux vestiges de leur ancienne splendeur. Ainsi la cathédrale possède un des plus beaux chœurs en bois sculpté qui se puisse voir ; San-Pedro étale un luxe de tableaux et de dorures dont l’Européen, habitué au style sévère de nos cathédrales gothiques, ne saurait se faire une idée. À côté de ces églises si riches encore, les couvens se distinguent par l’ampleur et la majesté de leurs proportions. Le couvent de San-Francisco n’occupe pas moins de deux cuadras. C’est une suite de jardins et de cours carrées le long desquelles d’élégantes arcades forment de délicieux promenoirs. Les cellules s’ouvrent sur les galeries supérieures pratiquées aux quatre faces du bâtiment, et auxquelles on arrive par de magnifiques escaliers. C’est par centaines que l’on compte ces cellules ; mais ce monastère, jadis trop étroit peut-être pour sa pieuse population, n’a d’autres habitans aujourd’hui que quelques moines qui errent, tristes et pâles, sous ses voûtes désertes et délabrées. Moins vastes que San-Francisco, les couvens de Saint-Augustin et de la Merced ont un aspect non moins désolé.